En bonne passionnée d’histoire, je me suis penchée sur l’épisode de la Révolution Française que l’on ne cesse de poser comme l’un des symboles fondateurs de la France. Cet événement, apparu en 1789, représente un tournant considérable dans l’Europe Occidentale, rompant de fait avec le modèle de l’Ancien Régime. Cependant, si les idées apportées par cette effervescence semblent novatrices et révolutionnaires, elles découlent en réalité d’idéologies prônées par la Révolution américaine qui est antérieure à la Révolution française. Dès lors, j’ai décidé de m’intéresser aux origines idéologiques de la Révolution de 1776 dont l’ampleur fut telle qu’elle influença les idées culturelles et politiques dans bien de pays sur le sol européen. Vaste sujet donc, mais ô combien passionnant!
La Révolution américaine représente l’un des trois actes fondateurs des États-Unis en tant que nation indépendante, les deux autres étant les fondations coloniales du XVIIe siècle et la guerre de Sécession qui verra le jour dans la deuxième décennie du XIXe siècle. La crise des années 1763 à 1776, voulant affirmer la place unique de l’Amérique dans le dessein du monde, a exploité un idéal politique qui, entravé par le système absolutiste en Europe, avait besoin d’une terre considérée comme « vierge » afin d’être appliqué. De fait, la Révolution américaine créa une nation sous la forme d’une république fédérale et distincte du peuple britannique, avec des symboles et mythes fondateurs qui lui sont propres. Ajoutons à l’établissement de ce nouvel Etat un bouleversement intellectuel, initié par les idéaux républicains et démocratiques, affirmant des droits à la liberté, à l’égalité, à la propriété et à la recherche du bonheur. Ainsi, grâce au comité de rédaction, composé de John Adams, Roger Sherman, Benjamin Franklin, Robert R. Livingston et Thomas Jefferson, la Déclaration d’indépendance des États-Unis est signée le 4 Juillet 1776, conformément à la décision du Second Congrès Continental (petite précision : le Second Congrès continental correspond à l’assemblée de délégués des 13 colonies américaines qui siégea du 10 mai 1775 au 1er mars 1781).

Si les écrits des dirigeants de la Révolution américaine, exposant leurs théories et présentant leurs opinions sur les polémiques, ont fortement influencé la réalisation de cet événement, nous savons qu’il ne s’agit pas des seules sources et traditions exploitées. Dans les années 1760, diverses idées politiques et religieuses se sont entrecroisées et, formant un ensemble cohérent, ont servi de support pour affirmer l’indépendance de l’Amérique.
L’Antiquité classique
L’étude de ces sources montre un vaste panel de littérature sollicitée, dont une large partie provient du patrimoine culturel européen. L’élément le plus évident dans les écrits de la période révolutionnaire est l’héritage de l’Antiquité classique. C’était la base. Tout colon éduqué connaissait en effet les classiques de l’Antiquité, comme l’affirme Charles F. Mullett :
« Il fallait être un pamphlétaire bien obscur pour ne pas être capable de convoquer au moins une analogie classique ou une maxime ancienne ».
Bien que Thomas Jefferson et John Adams soient hostiles aux dialogues de Platon, les auteurs classiques sont maintes fois cités, à l’instar d’Homère, Hérodote, Xénophon, Plutarque, Cicéron, Horace, Virgile et Marc Aurèle. Ces références permettaient aux colons de s’identifier à ces personnes et à faire des analogies avec leur époque, comme le souligne Andrew Jackson à l’université de Tennessee en 1812 :
« Les jeunes hommes d’Amérique sont animés par l’ambition d’égaler les exploits de Rome ».
Il est cependant nécessaire de préciser que, bien que fortement présents dans la littérature révolutionnaire, les écrits antiques ne représentent que des illustrations appuyant leurs propos et non une source à la théorisation et formulation de leurs idées.
Les Lumières
En revanche, les révolutionnaires américains se sont fortement inspirés du rationalisme des Lumières. De Voltaire à Rousseau, en passant par Grotius, les penseurs des Lumières européens ont fortement été sollicités. Nous pouvons évoquer l’Esprit des lois (1748) de Montesquieu dans lequel Thomas Jefferson puise l’idée qu’un gouvernement républicain doit se fonder sur la vertu et sur la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général. Nous pouvons également citer le philosophe britannique John Locke dont les idées sur la liberté, l’égalité, l’indépendance et la propriété, extraites de son Traité sur le gouvernement civil (1690), inspirèrent grandement les révolutionnaires :
« Les hommes étant tous libres, égaux et indépendants dans l’état de nature, nul ne peut être dépossédé de ses biens et assujetti au pouvoir politique d’autrui sans son consentement ».
En outre, l’œuvre principale de Jean-Jacques Rousseau, intitulée Du contrat social (1762), s’inscrit également dans cette énumération de sources issues des Lumières. La défense de la liberté et de l’égalité ainsi que la définition de l’ordre social comme la somme des libertés individuelles et des exigences que suggère le vivre-ensemble représentent en effet des idées en vogue dans la révolution outre-Atlantique. Cette liste, loin d’être exhaustive, nous donne ainsi à penser que les philosophies modernes et rationalistes ont œuvré à l’indépendance des États-Unis.
Le droit anglais
Cependant, il convient également de mentionner le droit et les écrits britanniques en tant qu’autre corpus d’idées tout aussi important dans le déroulement de la Révolution américaine. En effet, si les philosophes de la raison universelle représentent indéniablement un des fondements les plus précieux de cet événement, le droit anglais accompagné des grands hommes qui lui sont associés sont vivement sollicités. Une attention particulière est notamment accordée aux théoriciens de la common law. Sir Edward Coke, jurisconsulte anglais avocat de la couronne qui fut également procureur général, président de la cour des plaids communs et 1er juge du Banc du roi (1613), est ainsi cité à maintes reprises dans les pamphlets et déclarations publiques. De plus, de nombreux textes américains du XVIIIe siècle font référence à des procès et aux solutions apportées à l’issu de ces derniers, ainsi qu’aux traités classiques du droit anglais. Enfin, l’adoption de la Déclaration des droits (Bill of Rights) par les Anglais en 1689, imposée aux souverains d’Angleterre Guillaume III et Marie II à la suite de la Glorieuse Révolution, inspira sans nul doute celle des Américains en 1790-1791. Ainsi mis aux côtés de la littérature classique et des philosophies des Lumières, le droit anglais représente une référence importante à la cause indépendantiste américaine.
L’influence des Puritains
Plus important encore, les idées politique des Puritains de la Nouvelle-Angleterre, notamment liées à la théologie du contrat, sont à citer en tant que sources de cette révolution. En effet, les pensées politiques, sociales et religieuses des premiers colons américains du XVIIe siècle ont atteint les oreilles des révolutionnaires américains du siècle suivant. Ces derniers ont largement repris ces idées et les ont développées sous l’influence de quelques prêcheurs et intellectuels. Le plus grand apport de ce dernier corpus, sur lequel nous reviendrons ultérieurement, est l’idéologie originellement développée par les Pilgrim Fathers selon laquelle l’Amérique a une place particulière dans le plan des volontés divines, jetant ainsi les bases d’un exceptionnalisme américain (encore perceptible aujourd’hui d’ailleurs).
Ainsi, les colons ont exprimé leur volonté d’indépendance sur la base d’un groupement de textes et d’idées variés qui, bien que formant parfois des incohérences et des contradictions, constituèrent l’état d’esprit général des révolutionnaires.

Bon maintenant que l’on sait quels sont les sources sur lesquelles se sont penchés les colons indépendantistes, reste à savoir quelles idées attirèrent précisément leur attention !
Indépendance vis à vis du pape

Il plaisait aux révolutionnaires américains d’associer le catholicisme au gouvernement arbitraire et à la tyrannie. En effet, depuis Jacques II[2] et la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV, le papisme (c’est-à-dire la soumission à l’autorité du pape) est lié dans l’esprit des colons à l’asservissement, à l’absolutisme et au despotisme. A contrario, le protestantisme apparaît comme le défenseur de la liberté politique et religieuse. Cette conception du lien entre l’absolutisme royal et la tyrannie est très présente chez les Whigs (vous savez, les membres du parti Whig qui, opposé au parti Tory, apparut au XVIIe siècle en Angleterre et lutta pour un parlement fort, capable de contrepeser le pouvoir royal…). Par ailleurs, cette liaison s’ancre davantage dans la pensée américaine à la suite du Grand Réveil et de la guerre de Sept ans ainsi que de toutes les guerres les opposants à la France et à l’Espagne au XVIIIe siècle, ces deux pays étant de fervents défenseurs du papisme. Dès lors, l’idée véhiculée par les aumôniers et les pasteurs, selon laquelle les colons se battent pour la liberté et contre la servitude instaurée par l’Antéchrist papal, gagne en popularité. Le protestantisme devient alors synonyme de liberté. Il apparaît donc nécessaire aux yeux des colons de se débarrasser de ces ennemis menaçants. L’issu de la guerre de Sept ans, permettant à l’Empire britannique de faire disparaitre une bonne partie de l’espace colonial français, représente incontestablement une victoire pour la couronne anglaise et pour les colonies de la Nouvelle-Angleterre. Ainsi, le désir de s’extraire de l’emprise française et du pouvoir papal ont poussé les Américains à sauvegarder leur liberté.
Indépendance vis à vis de l’Angleterre
Cependant, la volonté de sauvegarder cette liberté va se développer en un désir de liberté absolue chez une grande partie des habitants de la Nouvelle-Angleterre. Pour parvenir à cet idéal, il était également nécessaire de s’émanciper du pouvoir britannique. En effet, si la guerre de Sept Ans diabolisa les Français, partisans du papisme, et poussa les colons à sauvegarder leur allégeance à la Couronne anglaise et au protestantisme, le royaume britannique ne tarda pas à être également identifié à la tyrannie et à l’Antéchrist. Bah oui, quitte à chercher la liberté, autant aller jusqu’au bout ! Certains épisodes houleux s’enchainèrent donc et contribuèrent à cette vision négative de l’Angleterre, à commencer par la volonté des colons de créer un évêché américain (qui serait donc indépendant de celui anglais). Les autorités ecclésiastiques britanniques, ayant préféré ne pas accéder à leur requête, lancèrent la construction de leur propre palais épiscopal à Boston afin de montrer aux colons leur mainmise sur la vie religieuse outre-Atlantique. Manœuvre quelque peu vicieuse, je vous l’accorde. Cet acte d’impérialisme anglais suscita donc une vive opposition de la part des Américains, refusant catégoriquement que leur église traditionnelle soit mise au banc par une église historiquement étrangère. Cet événement s’ancra dans l’esprit des colons comme la confiscation de la liberté de conscience et religieuse que les Puritains étaient venus chercher autrefois en quittant l’Europe. Dès lors, les Américains protestants tentèrent de se défendre contre les tentatives hégémoniques de l’Angleterre, affirmant que la liberté de conscience devait être absolue. C’est ainsi qu’un grand nombre de protestants exigèrent, en fin d’année 1774, la fin de l’oppression des Eglises majoritaires sur les Eglises minoritaires. La prétention de l’Etat d’imposer une idéologie unique à l’ensemble de la population fut donc bannie par les révolutionnaires. A ce sujet, Samuel Williams écrivait dans ses Discourses on the Love of Our Country (1775) :
« (…) l’amélioration graduelle de l’esprit humain qui a eu lieu depuis, a conduit ces colonies vers ce principe véritablement juste et catholique, la tolérance universelle et la liberté de conscience ; si nous n’y sommes pas encore parfaitement parvenus, nous sommes sur le bon chemin ».
Ce combat pour la liberté religieuse s’accompagne, en outre, de l’exigence de la neutralité de l’Etat, créant un « mur de séparation » entre les institutions politiques et l’Eglise, selon les propres mots de Jefferson. En effet, d’après les révolutionnaires, l’Etat ne peut ni imposer une croyance du monde ni intervenir dans la vie religieuse, comme le montre les paroles de James Madison:
« Le gouvernement n’a pas l’ombre d’un droit de se mêler de religion. Sa plus petite interférence serait une usurpation flagrante ».
Ainsi, la volonté d’accéder à la liberté religieuse participa grandement à la Révolution américaine.
Par ailleurs, nous pouvons ajouter à la controverse épiscopale l’Acte de Québec[3] de 1774 qui fut reçu par les colons comme un pas de plus de l’Inquisition sur le sol américain et, de ce fait, comme une trahison du roi. Il s’agit d’une loi constitutionnelle portant sur le statut de la « province de Québec » : le gouvernement britannique rétablit les lois civiles françaises et reconnait officiellement la religion catholique. Comme vous pouvez vous en doutez, cette loi provoqua le mécontentement des Treize colonies et, dès lors, se révéla être une source indirecte du combat initié en 1776.
Anecdote de la Boston Tea Party
Pour la petite anecdote, la Boston Tea Party de 1773 ne correspond pas à une fête où tout le monde festoyait avec une tasse de thé entre les mains mais un événement qui manifesta l’agitation des colons contre l’Angleterre. En effet, les patriotes américains de Boston, déguisés en Indiens, jetèrent des cargaisons de thé des navires marchands britanniques par-dessus bord. Pour que d’anciens Britanniques jettent du thé par dessus bord, c’est qu’effectivement ils n’étaient pas contents ! De surcroît, les colons devaient payer des taxes sans pour autant pouvoir décider de l’utilisation de cet argent collecté dans la mesure où ils n’avaient pas de représentants politiques au Parlement de Londres. Beaucoup de colons affirment donc, comme le fait John Dickinson dans ses lettres from a Farmer in Pennsylvania (1768), que, puisque les taxes étaient imposées sans leur consentement, les colons américains étaient devenus des « esclaves ». C’est dans ces conditions qu’est né le slogan suivant : « No taxation without representation ». Suite à de nombreux incidents tel que celui de la Boston Tea Party, une série de loi appelées les « Coercive Acts » fut établie afin de punir les agitateurs américains. Ceci ne fit qu’exacerber encore davantage la colère des révolutionaires…

L’Acte de Québec et les «Coercive Acts», auxquels viennent s’ajouter les réactions virulentes face à la non-représentation des colons en Angleterre, ont ainsi fait surgir chez les Américains la volonté de s’émanciper de la Couronne anglaise afin d’acquérir une liberté politique et économique. D’autres événements peuvent être mentionnés afin d’illustrer mes propos tels que l’ordonnancement, notamment en Virginie, du boycott des produits anglais, ou encore de l’envoi d’une pétition au roi le 30 mai 1765…

Ainsi, dans toute manifestation ou écrit des colons, la préoccupation dominante dans l’esprit américain est celle de la lutte pour la liberté. Cependant, l’égalité et la liberté universelle (politique, économique et religieuse) prônées par les révolutionnaires furent sujettes à de nombreuses railleries de la part des Tories (partie s’opposant aux Whigs sur le sol britannique), considérant que l’esclavage, alors très présent sur le sol américain, décrédibilisait leur combat ardent pour la liberté. Certaines voix s’élevèrent néanmoins concernant ce point, à l’instar du pasteur Samuel Hopkins ou Anthony Benezet, afin de protester contre cette injustice, proclamant que les Américains ne pourraient accéder à la liberté que s’ils abolissaient l’asservissement des humains.
A la veille de la révolution, les Américains ont donc compris la nécessité de construire un pays exemplaire, indépendant de toute tutelle étrangère, où chaque homme est libre. Par conséquent, tous les débats politiques et économiques avaient pour enjeu principal la liberté et l’indépendance.
La suite dans le prochain article 😉
Sources :
Bernard Bailyn, Les origines idéologiques de la Révolution américaine, Editions Belin, 2010.
Charles F. Mullett, Classical influences on the American Revolution, vol.35, n°2, 1939, pp.92-104.
Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains, Chapitre 6, les idées politiques de la Révolution américaine, Presses Universitaires de France, 2013.
Lauric Henneton, Histoire religieuse des Etats-Unis. Chapitre 6, La nation providentielle : Révolution et indépendance (1754-1800), Flammarion, 2012.