Les dix plaies d’Egypte : mythe biblique ou réalité historique ?

Pour ce nouvel article, je vous emmène au coeur d’un des épisodes bibliques les plus connus (et l’un de ceux qui me fascinent le plus) : les dix plaies d’Egypte.

Cette histoire est racontée dans la Bible, dans le livre Exode, 7-12 pour être précis. Certains d’entre vous l’ont peut-être également découverte dans le film Exodus : Gods and kings, réalisé par Ridley Scott en 2014, qui s’appuie sur ce récit de l’Ancien Testament.

Que vous ayez pris connaissance de cet épisode dans la Bible ou dans ce film que je vous recommande fortement, l’histoire est la même : alors que le peuple juif est soumis à l’esclavage en Egypte depuis 400 ans, il incombe à Moïse, âgé de quatre-vingts ans mais toujours en forme, de sauver son peuple et de le guider vers la Terre promise. Mais Pharaon, bien sûr, s’y oppose. Une série de catastrophes s’abat alors sur le pays du Nil, manifestant la fureur de Dieu face à ce refus. Ces événements destructeurs sont au nombre de dix. Ainsi naît la légende des dix plaies d’Egypte.

Quels sont ces dix fléaux ?

Le premier des fléaux frappe le Nil, dont l’eau se transforme en sang. Oui, ça commence fort. Puis c’est au tour des grenouilles d’envahir les rues et les demeures des Egyptiens. Pharaon, qui, face à cette catastrophe, promet à Moïse de libérer son peuple, ne tient cependant pas parole. Ainsi s’abat sur son peuple la troisième plaie : Aaron, le frère de Moïse, frappe le sol avec son bâton, créant ainsi de la poussière qui se transforme en une armée de moustiques. Face à l’entêtement de Pharaon, la vermine prend la place des moustiques et envahit le pays. Puis apparaît la peste qui touche tous les animaux, exceptés ceux des Juifs. En colère, le roi d’Egypte est plus que jamais décidé à tenir tête au Dieu de Moïse.

Joseph Mallord William Turner, La cinquième plaie d’Egypte, 1800, Musée d’art d’Indianapolis.

La plaie suivante, ajoutant une catastrophe supplémentaire aux cinq précédentes, concerne l’apparition d’ulcères faisant surgir des pustules, aussi bien, cette fois-ci, chez les personnes que chez les animaux. Quant à la septième plaie, il s’agit d’une tempête de grêle qui détruit un grand nombre de récoltes. Celles qui ont été épargnées par la tempête sont par la suite attaquées par des nuages de sauterelles. C’était la huitième plaie. Alors que le roi égyptien accepte de ne libérer que les hommes, empêchant ainsi femmes et enfants de se joindre au voyage de Moïse vers le Pays de Canaan, les ténèbres recouvrent l’Egypte de leur sombre manteau, plongeant durant trois jours le royaume de Pharaon dans l’obscurité, excepté le plateau de Gosen où vivent les Juifs. Le pays fut donc frappé par pas moins de neuf terribles plaies.

« L’Éternel dit à Moïse: Étends ta main vers le ciel, et qu’il y ait des ténèbres sur le pays d’Égypte, et que l’on puisse les toucher. Moïse étendit sa main vers le ciel; et il y eut d’épaisses ténèbres dans tout le pays d’Égypte, pendant trois jours. On ne se voyait pas les uns les autres, et personne ne se leva de sa place pendant trois jours. Mais il y avait de la lumière dans les lieux où habitaient tous les enfants d’Israël. »

9e plaie — Exode 10:21-23

Pharaon ne se laisse cependant pas abattre et campe sur sa décision. Ainsi arrive l’heure de la dernière plaie. Avant qu’elle ne se réalise, Moïse demande à son peuple de sacrifier un agneau et d’inscrire une trace de son sang sur la porte de tous les foyers juifs. La nuit arrive et, dans le silence, les premiers nés de tous les Egyptiens décèdent, y compris le fils de Pharaon. C’en est trop pour celui-ci. Après ces dix catastrophes qui touchèrent son pays, son peuple et sa famille, Ramsès accepte, enfin, de libérer le peuple oppressé.

S’ensuivra cependant la poursuite dans la Mer Rouge… Mais ça, c’est une autre histoire.

Frédéric Arthur Bridgman, L’armée de Pharaon engloutie par la Mer Rouge, 1900.

En tout cas, force est de constater le caractère on ne peut plus dramatique de cette succession de catastrophes, digne d’un scénario apocalyptique hollywoodien. Et s’il y avait une explication derrière elle, outre le refus de Pharaon d’obéir à Yahvé, Dieu du peuple hébreux ?

Le cataclysme de Santorin

Pour répondre à cette question, direction Santorin. Cette île grecque, donnant sur la mer Egée, connaît l’une des plus grandes catastrophes naturelles de son histoire vers 1600 av. J.-C. Vous connaissez l’histoire de l’éruption du Vésuve, à Pompéi ? Eh bien celle du volcan de Théra, à Santorin, n’a rien à lui envier. Bien au contraire…

Lorsque le volcan entre en éruption, c’est toute la côte méditerranéenne qui en subit les conséquences, notamment la civilisation minoenne. De sérieuses théories scientifiques expliquent que cette civilisation, vivant sur l’île de Crète à l’Âge du bronze, de 2000 à 1500 av. J.-C., devrait en effet sa destruction à l’éruption du volcan, qui donna également lieu à des tsunamis d’une dizaine de mètres. On peut donc aisément imaginer le caractère destructeur de cet événement, d’autant plus que l’indice d’explosivité volcanique de cette éruption est estimée entre 6 et 7 (sachant que l’échelle s’arrête généralement à 8). On est donc là sur une éruption volcanique de compétition.

Quel est le lien entre l’épisode biblique susmentionné et ce grand cataclysme ayant eu lieu à 800 km au nord-ouest du sol égyptien me demanderez-vous ? Eh bien c’est Gilles Lericolais, un géologue français et directeur des Affaires européennes et internationales à l’Ifremer, qui en dévoile la réponse : selon lui, le pays de Pharaon aurait été touché par les conséquences de cette éruption volcanique. Il n’y aurait rien de surprenant dans cela puisque l’on retrouve des traces de l’impact de cet événement jusqu’au Groenland (l’Egypte ne paraît pas si loin tout à coup). Le fait que le réveil de Théra n’est pas visible de l’Egypte n’empêche ainsi en rien le royaume de Pharaon d’en subir les conséquences désastreuses…

Les dix plaies seraient alors une réaction en chaîne qui trouverait son origine dans l’éruption. Comme un effet de domino, en somme.

a volcano erupting at night
Luis D. Alvarez, sur Pexels.com

Quand la science intervient

Plusieurs théories ont vu le jour pour expliquer la première plaie, c’est-à-dire la transformation de l’eau du Nil en couleur rouge. Bien qu’assimiler cette eau à du sang ajoute une note dramatique au récit, il serait plus vraisemblable que cette couleur soit due au dioxyde de souffre dégagé par le volcan. Il aurait en effet engendré des pluies acides qui, au contact du sol riche en fer des Egyptiens, aurait donné cette couleur rougeâtre. Toujours dans le cadre de l’éruption volcanique, qui entraîna un fort dérèglement climatique, une masse d’algues rouges apparue à la source du Nil serait également susceptible de donner cette couleur à l’eau du Nil.

La deuxième plaie s’explique facilement à partir de la précédente. Une telle eau infectée est fatale pour la faune et la flore vivant dans le fleuve égyptien. Contrairement aux poissons qui n’ont pas cette chance, les grenouilles quittent le Nil et rejoignent alors la terre ferme. Ainsi envahissent-ils le pays, comme l’annonce la seconde plaie.

En ce qui concerne la 3e et la 4e plaies, il est aisé de faire le lien entre l’eau du Nil et le cadavre de ses animaux morts d’une part et la venue des moustiques et de la vermine d’autre part.

Ces derniers, dont le climat humide égyptien a probablement contribué à leur reproduction en nombre, ont par la suite infecté le bétail et la population, engendrant la peste et l’apparition des pustules, soit les plaies 5 et 6.

En ce qui concerne la 7e plaie, qui évoque la tempête de grêle détruisant les récoltes, il importe de revenir sur les conséquences directes de l’éruption du volcan. Parmi ces conséquences peut en effet être cité un dérèglement climatique important qui aurait engendré des tombées de grêles chargées de cendres, comme le rapporte Michael Langlois, épigraphiste et maître de conférence à l’Université de Strasbourg dont la mission est de nous éclairer sur les savoirs en lien avec la Bible et l’histoire (cf l’article David Humbert, paru dans Les cahiers de science & vie et mentionné plus bas).

Pour ce qui est de la plaie suivante, des sauterelles seraient venues d’Ethiopie et du Soudan, près de la mer Rouge autour de laquelle se trouve un regroupement important favorisé par les pluies diluviennes à la source de leur multiplication.

La 9e plaie, bien que d’une toute autre nature que les précédentes, trouverait également son explication dans l’éruption du Santorin : pour rappel, d’épaisses ténèbres recouvrirent le ciel des Egyptiens durant trois jours. Le royaume fut ainsi plongé dans une grande obscurité, à tel point qu'”on ne se voyait pas les uns les autres” (Exode 10:23). Les déchets volcaniques recouvrant le ciel peuvent facilement expliquer son obscurcissement, si ce n’est une tempête de sable poussée par le dérèglement climatique du désert vers la terre égyptienne.

Enfin arrive-t-on à la dernière plaie qui, pour rappel, raconte la mort des premiers nés égyptiens. Il est à première vue difficile d’établir un lien direct entre l’éruption du volcan et le décès de ces enfants. Notons cependant la coutume égyptienne de donner, lorsque les récoltes sont maigres, la plus grande portion de nourriture au premier né, soit l’enfant le plus robuste et le plus susceptible de survivre. Enfin, normalement. Si les céréales sont contaminées par les nuages d’insectes et les champignons mortels développés par l’humidité, ou encore si de la moisissure infecte les greniers où les Egyptiens entreposèrent en toute hâte les récoltes sauvées, la pitance s’en trouve elle-même infectée. Ainsi les premiers nés se trouvent être les plus exposés à un décès par contamination des céréales.

Charles Sprague Pearce, Lamentations sur la mort des premiers-nés, 1877, Smithsonian American Art Museum.

Voici donc les explications scientifiques et historiques que certains spécialistes prêtent aujourd’hui au récit de l’Exode. Bien sûr, plusieurs théories non évoquées peuvent également contribuer à l’apparition de ces phénomènes catastrophiques (le changement d’hygiène par exemple, entraînant d’autres épidémies que la peste comme le choléra ou le typhus, ou encore l’eau des Egyptiens devenant non potable de par les pluies acides…). Certains historiens émettent par ailleurs des réserves quant au lien de cause à effet entre le récit de l’Exode et l’éruption de Santorin. Cela reste donc de l’ordre de l’hypothèse à l’heure actuelle. Mais les conséquences d’un tel cataclysme naturel étant ce qu’elles sont, il ne semble pas rocambolesque de trouver en cette terrible éruption volcanique les sources d’un tel récit aux allures apocalyptiques.

Sur ce, à bientôt pour de nouvelles aventures (plus gaies, espérons) !

Sources :

Hervé Ratel, “Exodus : que dit la science sur “les dix plaies d’Egypte” ?”, Science & Avenir, 22 décembre 2014.

Rebecca Denova, “Dix plaies d’Egypte”, World History Encyclopedia, traduit en français par Babeth Étiève-Cartwright, 18 février 2022.

David Humbert, “Le Santorin, artisan des plaies d’Egypte?”, Les Cahiers de science & vie 156, octobre 2015, pp.74-79.

Kristin Romey, “L’éruption minoenne, l’une des plus grandes catastrophes naturelles de l’histoire”, National Geographic, 6 janvier 2022.

4 commentaires sur « Les dix plaies d’Egypte : mythe biblique ou réalité historique ? »

  1. Article très intéressant et très respectueux en même temps. Bravo! Et ça m’a aussi rappelée une citation du XXÈME siècle que j’aime beaucoup .“Trop de gens, lorsqu’ils ne voient pas comment une chose pourrait se produire, en rejettent l’éventualité, comme si elle était impossible pour Dieu sous prétexte qu’elle l’est pour eux”.

    1. Merci beaucoup, je suis heureuse que l’article vous ait plu !
      C’est une belle citation en effet. J’ai souhaité pour ma part évoquer les faits tout en laissant à chacun le soin d’interpréter l’épisode selon ses croyances 🙂

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