Un parfum de poison à la cour de Catherine de Médicis

Dans l’Antiquité, le poison est relégué à l’environnement féminin, l’assassinat par substances toxiques étant considéré comme une arme douce. Ainsi apparaît dans les esprits une vision genrée du poison, participant à la dépréciation de la femme (l’usage de poison n’est-il pas considéré comme le plus lâche des modes opératoires?).

L’histoire de la déesse Hécate en fait les frais : dans la mythologie grecque, Hécate, réputée empoisonneuse, est assimilée à la lune noire. Bien qu’elle soit également liée à la fertilité et à la protection des âmes, elle n’en demeure pas moins liée à la sorcellerie et à la mort…

William Blake, Hécate, 1795.

Diodore de Sicile, historien grec du Ier siècle avant notre ère, raconte que la déesse est très « habile dans la composition des poisons mortels (…) ». Ses compétences d’empoisonneuse lui permettent d’ailleurs de se débarrasser de son père et de prendre possession de son royaume.

Mais dès l’Antiquité, le caractère féminin de la mort par le poison accorde à ce procédé une impression de douceur et de poésie. Ainsi se trouvent entremêlés poison et parfum, dont la délicieuse odeur camoufle l’horreur du geste. Une des femmes les plus assimilées à l’art de l’empoisonnement est bien évidemment Catherine de Médicis, faisant son entrée dans l’histoire de France aux côtés du fils de François Ier, le futur roi Henri II.

La légende noire qui auréole la reine est déjà bien vivante dès le début du XVIIe siècle, comme en témoignent les vers d’Agrippa d’Aubigné dans son œuvre Les Tragiques :

Va, commande aux demons d’imperieuse voix
Reproche leur tes coups, conte ce que tu vois,
Monstre leur le succes des ruses florentines,
Tes meurtres, tes poisons, de France les ruines (…)

Rappelons-nous également du roman La Reine Margot, dans lequel Alexandre Dumas raconte que Catherine, cherchant à se débarrasser de son gendre, commande la confection d’un poison qui sera déposé sur les pages d’un livre qu’elle compte offrir à sa victime, mais qui finit malencontreusement entre les mains de son propre fils, le roi Charles IX. Pas de chance…

Cela pose donc question : la reine-mère était-elle réellement apte à faire usage de poison pour imposer son pouvoir ? C’est ce que nous allons tenter de découvrir dans cet article.

Portrait de Catherine de Médicis, attribué à François Clouet et réalisé vers 1555, Victoria and Albert Museum

En arrivant à la cour de France, l’Italienne amène avec elle, de son pays natal, des astrologues et des apothicaires. Parmi ces derniers figure le parfumeur Renato Bianchi, dit René le Florentin.

René le Florentin maîtrise l’art de la parfumerie, en s’appuyant notamment sur les arômes apportés du Nouveau Monde, à l’instar du gingembre, de la vanille, de la cannelle. Le Florentin trouve un marché florissant pour un producteur de parfums, la beauté corporelle étant privilégiée à cette époque au détriment de l’hygiène (l’eau effraye en tant que transmetteur de maladie). Le parfum est dès lors appliqué partout et en toutes circonstances, que ce soit sur les perruques, les gants, les chapelets, les coussins, les bijoux, les éventails, ou dans les fontaines. Aussi surprenant soit-il, il arrive également d’asperger d’essences odorantes les animaux domestiques, comme les chiens et oiseaux exotiques. On utilise alors une large diversité de matières animales ou végétales telles que l’ambre gris, le musc, le jasmin, la civette, le romarin, la lavande, l’iris de Florence ou encore la rose de Provins, digne descendante de la rose de Damas.

Tenture de la vie seigneuriale (“Le Bain”), début XVIe siècle, conservée au Musée de Cluny

L’usage immodéré d’eau parfumée favorise l’utilisation de poison, les producteurs de parfums étant maîtres en la confection de concoctions. Dans la boutique de parfums au niveau du pont Saint-Michel à Paris, René le Florentin aurait ainsi fourni à sa clientèle de nombreuses substances toxiques, à l’instar de la cantarella, comprenant de l’arsenic, du phosphore et de l’acétate de plomb. Composé de plomb, d’arsenic et de belladone, l’acqua tofana (également appelé poison de la “manne de Saint-Nicolas”) est un poison pareillement réputé pour avoir été maintes fois utilisé par les Italiens du XVIe siècle.

Léo Taxil, Les Mystères de la Franc-Maçonnerie, Paris, 1886.

Implications du parfumeur René Bianchi dans des tentatives d’empoisonnement :

La légende raconte que la reine aurait tenté d’empoisonner le prince de Condé avec une pomme de senteur, que lui aurait donné ledit parfumeur René. Si cette histoire reste de l’ordre du mythe, force est de constater que de tels procédés sont utilisés dans l’entourage de Catherine.

Rappelons que l’histoire inculpe également la reine mère Catherine dans la mort de Jeanne d’Albret, mère d’Henri de Navarre, quelques jours avant le mariage de ce dernier avec Margot, la fille de l’accusée. En juin 1572, Jeanne d’Albret aurait en effet porté des gants parfumés dans lesquels un poison mortel avait été dissimulé : on ordonna à ce que son cerveau soit ouvert pour vérifier si elle n’avait pas humé un parfum qui aurait altéré le fonctionnement de sa boîte crânienne et, ainsi, causé sa mort. Cette opération chirurgicale démontre que le poison prend des allures de parfum dans les mentalités de l’époque. Et d’après la rumeur, le poison aurait été conçu par nul autre que… René Bianchi ! Tiens, tiens…

Pierre-Charles Comte, “Jeanne d’Albret, accompagnée de son fils Henri de Navarre et de Marguerite de Valois, vient acheter chez René, parfumeur de Catherine de Médicis, les gants qui l’ont empoisonnée”, milieu du XIXe siècle

In fine, la liste des victimes dans l’entourage de la reine mère par poison est bien remplie. À en croire ses détracteurs, elle tenta de se débarrasser du duc de Longueville, du cardinal de Châtillon, de Coligny, du duc de Bouillon, et de bien d’autres malheureux. Au XIXe siècle, nombre d’écrivains firent d’ailleurs de son cabinet au château de Blois un lieu sûr où la reine rangeait soigneusement ses poisons. En réalité, cette petite pièce servait à entreposer des oeuvres d’art. Donc, une réalité bien éloignée des présupposés des artistes romantiques…

Pour quelles raisons avoir alors prêté une telle réputation à la Médicis ?

Premièrement, il importe de distinguer les faits historiques des propos relatés à posteriori pour ternir la réputation de Catherine. Celle-ci n’est d’ailleurs pas la première étrangère à la cour de France à être associée à la magie et à l’usage de poison : rappelons-nous de Valentine Visconti, belle-sœur du roi fou, accusée d’avoir exercé sur lui de la magie et d’avoir tenté d’empoisonner le dauphin avec une pomme. Chose surprenante : Valentine était elle aussi Italienne. Coïncidence ? Je ne pense pas.

Il est vrai qu’à l’époque, le poison est fortement associé aux Italiens. Ainsi l’explique l’historien Jean-Hyppolite Mariéjol :

«  Astrologues, magiciens, fabricants de philtres, faiseurs et défaiseurs de sorts, étaient tous des Italiens ou des élèves d’Italiens. D’Italie aussi, l’ancien marché et le grand laboratoire des essences et des aromates d’Orient, vinrent, attirés par les goûts de Catherine, nombre de parfumeurs que le populaire accusait d’être des empoisonneurs » 

—  Jean-Hyppolite Mariéjol, Catherine de Médicis, p. 324

À la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, la France, entrant en guerre avec des principautés italiennes comme Milan et Naples, aime en effet assombrir la réputation de ses adversaires. Alors que Galéas Visconti (père de Valentine) est accusé d’avoir fait usage de poison, le Religieux de Saint-Denis (chroniqueur royal) généralise le recours au venin à l’ensemble de la région de Lombardie d’où est issu Galéas. Il en est de même dans les écrits de Jean Lemaire de Belges qui, dans le cadre de la lutte entre Louis XII et Venise, indique que la République de Venise est pleine d’empoisonneurs. De nombreux autres pamphlets accusent les habitants de la péninsule italienne de savoir manier les poisons avec grande aisance. Ainsi, il n’est pas surprenant que des Italiennes arrivant à la cour de France, où leur pouvoir suscite des rivalités, soient accusées d’avoir recours à de telles boissons mortelles.

Deuxièmement, il apparaît clair que des concoctions toxiques ont bel et bien été utilisées. Mais ces crimes ont-ils réellement été commandités par la Médicis ? Si la reine mère n’est pas directement impliquée dans ces meurtres, force est de constater que René le Florentin y tient une place importante. Il faut dire que ce personnage a de quoi nous glacer le sang : pendant le massacre de la Saint-Barthélemy, durant lequel des milliers de protestants perdent la vie, le parfumeur aurait jeté dans la Seine un orfèvre protestant, boiteux, avant de courir à sa boutique pour s’emparer de ses richesses (il faut croire que faire marchandise de parfums et de poisons n’était pas suffisamment rentable). Bref, un parfumeur qui n’y va pas de main morte. Avoir un tel personnage dans son entourage pose ainsi question : Catherine était-elle partisane de ses méthodes ? Comment une reine peut-elle avoir un homme aussi méprisable en tant que parfumeur officiel ?

Dans ce méli-mélo de questions dont les réponses ne peuvent être affirmées avec certitude, nous pouvons être certains d’une chose : Catherine de Médicis fut bel est bien représentée dans l’imaginaire comme une reine noire. Dès son vivant, son nom, souffrant de cette réputation, est transformée par le biais de l’anagramme en « chaine de crime dite », ou encore en « danse de cimetieres  ».

L’origine italienne et le fait d’appartenir à la gente féminine sont ainsi utilisés pour incriminer une reine qui « n’eut d’autre passion que celle du pouvoir » .

Piat Sauvage, Catherine de Médicis, XVIIIe siècle, ©Château de Chenonceau

Sources :

Augustin Cabanès, Lucien Nass, Poisons et sortilèges, volume 2, Plon-Nourrit et Cie, 1903.

Franck Collard, Pouvoir et poison, Seuil, 2007.

Lydie Bodiou, Frédéric Chauvaud, et Myriam Soria, « Les objets du poison de l’antiquité à nos jours », Sociétés & Représentations, vol. 32, no. 2, 2011, pp. 217-240.

Luisa Capodieci, Medicæa Medæa: art, astres et pouvoir à la cour de Catherine de Médicis, Librairie Droz S.A, Genève, 2015 (version numérique).

Sarah Voinier, (dir.), Guillaume Winter (dir.), Poison et antidote dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles, Artois Presses Université, 2011 (version numérique).

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