Lien entre l’histoire, l’art… et les marques


Vous connaissez déjà mon intérêt pour l’art et l’histoire (je crois que le blog le montre plutôt bien, non ?). Mais ce que vous ne savez pas, c’est que je m’intéresse également aux marques et à la définition de leur identité à mes heures perdues (oui j’ai bien été formée en école de commerce). Mais la cerise sur le gâteau, ce sont les marques, notamment du secteur du luxe, qui s’appuient sur l’histoire et le patrimoine pour valoriser leurs offres. Et puis les chefs-d’oeuvre de la joaillerie française, de la haute parfumerie et de la gastronomie ne font-il pas eux-mêmes partie de notre patrimoine ?

Tel Sherlock Holmes à la recherche du moindre indice, j’analyse donc toujours les marques, les traces du passé et les éléments artistiques qu’ils sollicitent pour mettre en lumière leurs univers.

Je parie que Nike et ses références aux athlètes grecs et Hermès et le dieu qui porte ce nom vous ont immédiatement traversé l’esprit. Mais en réalité, les marques qui s’appuient sur l’histoire, l’art et la mythologie sont légion : La Durée et l’impératrice Eugénie, Guerlain et l’abeille de Napoléon, Versace et la tête de Méduse, Bulgari et la Rome antique… Cela nous fait de beaux storytelling !

photo of a golden earring on a draped fabric
silver diamond ring on white textile

Vous voyez, nombreuses sont les marques qui savent s’appuyer sur un héritage ou sur un riche réservoir de symboles pour valoriser leur image. L’histoire permet en effet à une entreprise de projeter ses racines dans une époque lointaine qui sera évocatrice de certaines valeurs dans l’imaginaire collectif, donnant ainsi du relief et de la légitimité à la marque. Ce procédé est fréquemment utilisé par les marques de luxe. Je m’efforce d’être synthétique là-dessus, mais vous trouverez des explications plus détaillées sur le sujet en bas de page (oui j’ai pas pu m’en empêcher). Pour tout vous dire, l’étude du lien entre les produits de luxe et l’art est une partie de la thèse professionnelle que j’ai réalisé dans le cadre de mon cursus en école de commerce. Comme c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup, j’avais envie de partager le fruit de mes recherches sur le blog.

Vous trouverez donc dans cette rubrique des articles sur des marques (essentiellement de luxe et haut-de-gamme) et leur utilisation de ce procédé dans leur identité ou dans la présentation de leur offre.

Ne vous inquiétez pas, il ne s’agira pas d’articles hyper complexes avec des graphiques et des cours théoriques sur les bases du marketing à n’en plus finir. Je pense plutôt à des articles portant sur l’histoire derrière une marque ou un de ses produits qui m’a particulièrement marquée, ou encore sur leurs sources d’inspiration artistiques. Cela est également l’occasion de présenter des structures qui valorisent l’histoire, l’art, ou encore le patrimoine et l’artisanat dans leurs activités.

macro photography of sparkling diamonds

Pour les plus curieux qui aimeraient en savoir plus sur ce procédé, voici une explication plus détaillée :

  • L’histoire & le luxe
  • Le concept d'”artification”

L’histoire & le luxe

naked man statue

Le temps représente pour cette industrie une source de valeur non négligeable, l’objet de luxe étant durable et ayant une valeur qui croît au fil du temps, comme le montrent à merveille les grands vins. La confection d’un produit de luxe nécessite en effet un savoir-faire technique pour assurer une résistance à l’usure, en s’appuyant notamment sur des matières premières nobles qui ne subissent pas l’écoulement du temps et sur un design qui transcende les tendances saisonnières. Professeur de marketing et expert des marques, Jean-Noël Kapferer explique que ce rapport au temps distingue le produit de luxe de l’objet industriel « qui doit s’user et se démoder afin d’être remplacé et faire fonctionner la machine ». Cela est par exemple le cas d’une Peugeot ou d’une Renault qui, comme l’explique ce spécialiste, perd au moins 20% de sa valeur dès son achat (contrairement à une Ferrari).

Vous l’aurez compris, le produit de luxe est un produit dont le temps passé à sa confection et sa durée de vie supérieure à celle des produits de masse sont constitutifs de son identité. Pour parvenir à s’inscrire dans le temps et à s’imposer dans le monde du luxe, les marques, comme je vous le disais tantôt, s’appuient notamment sur une histoire authentique et un patrimoine qui contribuent à leur valorisation. Elles doivent cependant veiller à l’utilisation d’une histoire, véridique ou légendaire, qui soit pertinente, conforme aux valeurs qu’elle véhicule et en adéquation avec les attentes des clients.

Par ailleurs, la valorisation d’une histoire sert également à mettre en lumière le travail des artisans et leur maitrise d’un savoir-faire ancestral qui participent tout autant à la construction d’un storytelling. Le cas des marques qui se sont développées à Paris et qui figurent aujourd’hui parmi les plus réputées au monde constitue un exemple pertinent pour illustrer ce point. En effet, le prestige de ces établissements est en grande partie due à la teneur artisanale que leurs produits possèdent depuis maintenant plusieurs siècles. Elle s’explique par le poids démographique et économique de Paris et la centralisation du pouvoir monarchique autour de la capitale qui, dès le Moyen Âge, ont contribué à l’essor d’une tradition artisanale française reconnue. Il suffit d’évoquer la corporation des orfèvres pour se rendre compte du poids de ce riche héritage parisien. Cette tradition artisanale française a été fondée sur un grand savoir-faire et une souplesse permettant de répondre aux demandes spécifiques, voire hors normes, d’une clientèle que l’on sait exigeante. Ce savoir-faire est d’autant plus précieux qu’il a perduré dans le temps, transmis entre les générations successives qui en ont préservé les secrets. C’est par exemple le cas de la Manufacture de porcelaine de Sèvres, en région parisienne, dont la création remonte au règne de Louis XV, encore de la cristallerie de Baccarat, en Lorraine, qui fournit la cour royale en verres de très grande qualité, des vases ou encore des chandeliers et des flacons de parfum depuis 1823.


Le concept d'”artification”

Il n’est par ailleurs pas rare que des marques de luxe prestigieuses, souhaitant développer tout un imaginaire autour de leurs produits, puisent des références culturelles dans des registres artistiques. La frontière entre luxe et art s’avère en effet bien souvent poreuse : la haute joaillerie est considérée comme une activité créative relevant à la fois du domaine de l’art et du domaine du luxe, tout comme l’œnologie et la gastronomie, ou encore l’art de l’horlogerie et l’architecture des plus grands palais et châteaux. Si ce phénomène n’est pas récent, force est de constater qu’il représente aujourd’hui une tendance influençant grandement le marché. La relation entre ces deux mondes a en effet beaucoup évolué ces quinze dernières années. Il est aujourd’hui courant, voire systématique, que des maisons de luxe lancent des projets tissant un lien avec le monde de la culture : l’organisation d’expositions portant sur les produits ou l’histoire d’une marque (Yves Saint Laurent au Louvre), la création de lieux culturels (Chanel et la Galerie du 19M qui valorise les métiers d’art), les opérations de mécénat culturel (le financement par Dior de la restauration du Hameau de la Reine à Versailles), la collaboration avec des artistes (Louis Vuitton et Takashi Murakami), ou encore la publication de catalogues exposant la richesse de leurs collections et le poids de leur héritage, témoignent pareillement de l’importance de l’art dans les stratégies de nombreuses marques de luxe.

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Cette démarche d’association du luxe à l’art est devenue si fréquente qu’est apparu le néologisme « artification », ou encore « art-keting » dans le vocabulaire des professionnels. Développée en 2004 par Roberta Shapiro, chercheuse à l’EHESS à l’Institut interdisciplinaire de l’anthropologie du Contemporain, la notion d’artification a pour objectif d’analyser le processus de transformation du non-art en art. L’emploi de ce processus par ces maisons prestigieuses manifeste ainsi leur désir de présenter leurs produits comme de véritables « œuvres d’art », de sorte à en sublimer l’image. 

Si ces deux univers tendent à accroître leurs relations, c’est parce qu’ils ont en partage des valeurs qui contribuent à leur définition respective : l’importance de l’esthétique et de la beauté, mais aussi la part de rêve et la charge symbolique et émotive, ou encore la rareté et la créativité. Se rapprocher de la culture permet ainsi au luxe d’accroître la part de ces valeurs sur lesquelles chaque marque travaille en continu pour renforcer ses éléments distinctifs. Ce faisant, les créations dans l’industrie du luxe tendent à être davantage considérées comme des œuvres que comme des produits réalisés en séries. L’art permet ainsi à la marque de réduire le fossé qui sépare la définition du luxe et la réalité de la production de masse que de nombreuses marques suivent aujourd’hui. L’art offre donc un puissant réservoir de valeurs participant à laccroissement de la désirabilité d’une marque, légitimant ses prix élevés et en ajoutant un « surplus d’âme » à ses créations.

Pour aller plus loin sur ces sujets :

BASTIEN, Vincent, KAPFERER, Jean-Noël, Luxe oblige, Eyrolles, 2012.

CASTARÈDE, Jean, Le grand livre du luxe, Eyrolles, 2013. 

CASTARÈDE, Jean, Luxe, Que sais-je, 2014. 

FERRIÈRE LE VAYER de. Marc, « Des métiers d’art à l’industrie du luxe en France ou la victoire du marketing sur la création »,  Entreprises et histoire, vol. no 46, no. 1, 2007, pp. 157-176. 

KAPFERER, Jean-Noël, Luxe. Nouveaux challenges, nouveaux challengers. Eyrolles, 2016. 

PASSEBOIS-DUCROS, Juliette, PICHON Frédéric, TRINQUECOST, Jean-François, « Stratégies d’artification dans le domaine du luxe. Le cas des vins de prestige », Décisions Marketing, n°80, Décembre 2015, pp.102-124.