La Conjuration des Pazzi : à mort les Médicis !

Rien de plus croustillant à raconter qu’une histoire mêlant pouvoir, trahison et meurtre. Je vous propose donc de nous plonger au XVe siècle, à Florence, au cœur des intrigues et des manigances. Ce règne des complots trouvant bien sûr son apogée dans la Conjuration des Pazzi…

Dans les années 1450, la cité florentine connaît une effervescence culturelle, un élan artistique et philosophique qui met l’Antiquité au goût du jour. Des artistes, comme Botticelli, Lippi, Brunelleschi, Donatello ou encore Ghiberti, apportent un nouveau souffle à la peinture, à la sculpture et à l’architecture, faisant de la république de Florence un centre culturel majeur.

Ottavio Vannini. Laurent de Mécicis entouré d'artistes rencontre Michel-Ange. 1638-1642, Palazzo Pitti, Florence, RMN
Ottavio Vannini, Laurent de Mécicis entouré d’artistes rencontre Michel-Ange, 1638-1642, Palais Pitti, Florence, © RMN-Grand Palais / Serge Domingie

Si cette fécondité intellectuelle et artistique fait son ouvrage à Florence, l’Italie est cependant bien loin de représenter un havre de paix. En effet, ce territoire est à l’époque morcelé en cinq principautés : Venise, Rome, Milan, Naples et Florence. Des jeux d’alliance et de guerre se créent alors entre ces cités et fluctuent au gré des circonstances, comme vous pourrez le constater à travers la lecture de cet article. Mais pour l’heure, penchons-nous sur cette fameuse famille qui fait de Florence une ville plus florissante que jamais, de par l’industrie de la laine et du textile, mais aussi et surtout par sa monnaie. J’ai nommé… les Médicis ! Entre leurs mains, la belle cité florentine voit en effet son prestige augmenter fortement. Les membres de cette famille, qui comprend deux papes et deux reines de France, deviennent des banquiers d’une habilité si grande qu’ils parviennent à contrôler Florence durant près de trois siècles. Les rois d’Europe eux-mêmes leur empruntent de l’argent, tout comme le fait aisément le Vatican, preuve de leur haute renommée. Ainsi, la prospérité de cette ville est, pour une grande part, due à l’autorité des Médicis qui s’imposent rapidement comme les maîtres de Florence…

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Giovanni, Putti volant portant l’écu couronné et les boules des Médicis (emblème de cette famille), XVIe, Louvre, Paris, ©RMN-Grand Palais (musée du Louvre)

Petit-fils de Cosme l’Ancien, Laurent n’a que vingt ans lorsqu’il reprend le flambeau des Médicis en tant que fils aîné d’une famille de quatre enfants. Mais qui est donc cet homme qui fascine tant ses contemporains et que l’on surnomme « Le Magnifique » ? Qui est ce prince qui fait rayonner Florence et qui incarne, à lui seul, la grandeur du joyau de la Toscane ?

Né en 1449, Laurent est le fils de Pierre dit “le Goutteux” et de Lucrezia Tornabuoni. Appelé « Lorenzo il Magnifico » en raison de son intelligence politique, le jeune homme fait de Florence la capitale de l’art et de la culture. Ayant reçu une éducation princière, Laurent a un goût prononcé pour la poésie, la littérature et la philosophie. Ainsi, il s’agit incontestablement d’un intellectuel brillant qui ne manque ni de prestance ni de charme, malgré son physique peu avantageux. Sans être un Cyrano de Bergerac version italienne, Laurent est tout de même doté d’un visage asymétrique auquel s’ajoutent un regard sombre et une myopie.

Malgré sa laideur, qu’il reconnait aisément, Laurent est une personnalité charismatique, ce qui lui permet d’avoir à ses côtés de fidèles maitresses. Etre épris de la belle Lucrezia Donati ne l’empêche cependant pas d’épouser, sous les conseils de sa mère, Clarice Orsini, fille d’une des familles les plus puissantes de l’aristocratie romaine. Ce mariage avec une famille étrangère procure aux Médicis une solide alliance avec Rome, complétée par une dot consistante fournie par la famille Orsini.

Laurent est alors l’homme le plus puissant de la cité Florence et incarne l’archétype du prince humaniste de la Renaissance. Le peuple lui pardonne d’ailleurs son emprise sur la ville, censée être une République, aussi longtemps qu’il est protégé et diverti, et que la situation économique leur est favorable.

“Les marchands préféraient la prospérité économique à la liberté politique; le prolétariat était occupé à des travaux publics de grande envergure, et pardonnait à la dictature aussi longtemps que Laurent lui fournissait du pain et des jeux. Des tournois attiraient les riches, des courses de chevaux excitaient la bourgeoisie, et de somptueux spectacles amusaient les gens du peuple”.

Will Durant, Histoire de la civilisation: La Renaissance, Editions Rencontre, 1963, p.209.

Le pouvoir des Médicis inquiète de nombreuses familles florentines, craignant une mise à l’écart des institutions républicaines. D’autres envient davantage leur autorité et désirent secrètement leur déchéance. La famille Pazzi en est l’illustration la plus ultime, celle qui ne se contente pas de souhaiter discrètement la chute de leurs opposants mais qui agit, dans l’ombre…

La maison Pazzi est l’une des plus anciennes et illustres maisons de Florence. Pazzino, le premier membre de la famille qui fait son entrée dans la grande Histoire, se serait distingué lors de la première croisade sous la conduite de Godefroy de Bouillon. Pazzino de’ Pazzi est, en effet, le premier à être entré dans la ville sainte de laquelle il aurait rapporté trois pierres du Saint-Sépulcre qui servent à allumer le « feu nouveau » de la cité, lors de la fête pascale du Scoppio del Carro. La montée en puissance des Médicis ne peut ainsi qu’irriter les Pazzi qui se voient voler doucement le pouvoir à la Seigneurie (qui correspond au gouvernement de la république de Florence). Bien que représentant une tentative d’établir la paix entre les deux familles, le mariage de Bianca, sœur de Laurent de Médicis, avec Guglielmo de’ Pazzi n’abaisse en rien les tensions habitant alors Florence. Jacopo et Francesco de’ Pazzi sont, en effet, bel et bien décidés à mettre fin au règne des Médicis.

Dans ces conditions, des temps sombres s’annoncent pour les Médicis dès 1471 : Francesco della Rovere devient pape sous le nom de Sixte IV. Avec la complicité de son neveu Girolamo Riario, il projette de s’emparer de la cité florentine en éliminant Laurent et son frère Julien, de quatre ans son cadet. Pour que ce projet aboutisse, Riario comprend la nécessité de créer des alliances avec de grandes familles de Florence fomentant également la chute des Médicis, à l’instar des Pazzi. Selon leur plan, l’assassinat des frères Médicis doit être suivi de l’arrivée d’une armée, prête à s’emparer des lieux clés aux frontières de Florence : Todi, la città di Castello, Imola et les alentours de Pérouse. Les hommes postés à ces places stratégiques permettront d’asseoir définitivement le pouvoir des Pazzi, de Riario et, indirectement, celui du pape.

Parmi les conjurés figurent également Francesco Salviati, l’archevêque de Pise, et Raffaelo Riario, le petit-neveu du pape qui, devant se rendre à Pise en tant que cardinal récemment élu, fait halte à Florence pour rendre visite aux Médicis. Il est alors invité au fastueux banquet ayant lieu le samedi de Pâques. Il s’agit là d’une occasion en or pour empoisonner les Médicis. Indisposé, Julien ne peut cependant se joindre à la fête.

L’assassinat est ainsi remis au lendemain, lors de la célébration de la messe de Pâques dans la cathédrale Santa Maria del Fiore. En ce 26 avril 1478, le suspens pour les conjurés est à son comble  : le cœur battant, attendant impatiemment le moment fatidique, les comploteurs se rendent dans la cathédrale, en ayant bien sûr pris le soin de porter des armes sur eux. Des armes dans une cathédrale, le jour de Pâques qui plus est… de quoi éveiller les soupçons. Heureusement, les conjurés les avaient soigneusement dissimulées de sorte que nulle personne ne vienne entraver leur projet. Ils étaient décidés à mettre leur plan à exécution, rien ne devrait les arrêter. C’est alors que tout commence.

Ayant pris place au premier rang auprès de leur famille, Laurent et Julien, agenouillés, sont soudainement attaqués. Des cris s’élèvent et la panique s’empare de la cathédrale. Julien perd aussitôt la vie mais ses assassins, profitant de leur geste pour exprimer leur haine envers les Médicis, vont jusqu’à porter sur le corps inanimé pas moins de dix-neuf coups… Oui, le temps des demi-mesures est révolu. Le Magnifique, quant à lui, est touché au cou mais survit malgré tout. Il se réfugie alors dans la sacristie de gauche, dite des Messes, pendant que ses fidèles couvrent sa fuite. Agitée, la foule se lance à la poursuite des tueurs parvenus à se hisser hors de la cathédrale. S’amorce alors une véritable vendetta : près de quatre-vingt cadavres sont comptés dans les ruelles de Florence. L’archevêque Salviati est arrêté par le gonfalonier Petrucci qui le fait pendre à la fenêtre du palais Vecchio, ainsi que la plupart des conspirateurs de la famille Pazzi. Seul Guglielmo, époux de la sœur du Magnifique, est gracié, bien que condamné à un exil irréversible. Entre les condamnés à mort et les exilés, la maison Pazzi est alors anéantie. Cet épisode explique d’ailleurs pour quelle raison la chapelle dédiée aux Pazzi (véritable prouesse architecturale soit dit en passant!) dans l’enceinte de la basilique Santa Croce est aujourd’hui vide…

Borrani Odoardo, La découverte du cadavre de Jacopo Pazzi, 1864, Palais Pitti, Florence, RMN-Grand Palais Georges Tatge
Borrani Odoardo, La découverte du cadavre de Jacopo Pazzi, 1864, Palais Pitti, Florence, © RMN-Grand Palais Georges Tatge

Souffrant de la perte douloureuse de Julien de Médicis, la cité florentine est en deuil : le défunt est inhumé dans la Vieille Sacristie de la basilique San Lorenzo, après avoir eu droit à des obsèques solennelles dont on soulignera la présence de presque toute la population de Florence.

(Attribué à) Bertoldo di Giovanni, Conjuration des Pazzi médaille, Galleria Estense, Modène, RMN-Grand Palais Finsiel Alinari
(Attribué à) Bertoldo di Giovanni, Conjuration des Pazzi médaille, Galleria Estense, Modène, © RMN-Grand Palais Finsiel Alinari

Eploré, Laurent sera marqué toute sa vie par ce funeste événement qui signa la perte de son cadet. Le renforcement de la popularité du survivant et de la fidélité des Florentins à la maison Médicis sera sa consolation. Mais le jeune Lorenzo n’est pas au bout de ses peines : malgré sa défaite incontestée dans sa tentative de s’emparer de Florence, le pape Sixte IV ne semble pas s’être résolu à abandonner ses vues sur Florence et, plus largement encore, sur la Toscane. Téméraire ce pape ! Suite à la conjuration, la cité florentine est plongée dans une guerre contre le pape qui rallie à sa cause Naples, Lucques, Sienne et Urbin. Le point de départ de cette querelle est l’excommunication du Magnifique et la mise en place de l’interdit sur le territoire florentin ayant pour motif la mise à mort du cardinal Salviati. Les seigneurs de la ville sont invités à remettre le Magnifique au souverain pontife mais ces derniers refusent de trahir leur « prince ». L’Eglise toscane finit alors par se soulever contre le Vatican.

Bronzino (dit), Allori Agnolo di Cosimo, portrait de Laurent le Magnifique, Galerie des Offices, RMN-Grand Palais Raffaello Bencini
Bronzino, portrait de Laurent le Magnifique, Galerie des Offices, ©RMN-Grand Palais Raffaello Bencini

L’armée florentine est confrontée à plusieurs défaites jusqu’au jour où Laurent change de stratégie et décide d’user dorénavant de ses talents diplomatiques. Le chef Médicis se rend alors à Naples afin de traiter avec le roi, Ferdinand Ier d’Aragon. La dangerosité de cette entreprise, puisque ce dernier pourrait l’emprisonner et le remettre au pape, ne fait qu’accentuer encore davantage l’incontestable bravoure du Magnifique. Celui-ci tente de convaincre le roi que la croisade lancée par Rome contre Florence desservirait ses intérêts dans la mesure où un état pontifical grand et puissant mettrait à mal l’équilibre, déjà bancal, entre les différents états italiens. Trois mois plus tard, le Médicis parvient à récolter les fruits de son travail, au plus grand bonheur de Florence : la paix est déclarée, bien qu’accompagnée de certaines conditions. En mars 1480, le Magnifique rentre alors à Florence, plus victorieux que jamais.

Comme le soulignera très justement Machiavel :

« S’il était parti grand, il revint grandissime, et fut reçu par la ville avec la joie dont ses grandes qualités et ses mérites tout frais étaient dignes, car il avait exposé sa vie pour rendre la paix à sa patrie ».

C’est ainsi que la conjuration des Pazzi contribua au prestige et à la gloire de la maison Médicis et à l’anéantissement de celle de leur famille. Cruelle ironie du sort…


Sources

Franco Cesati, Les Médicis; Histoire d’une dynastie européenne, Mandragora, Florence, 1999.

J.H Plumb, The Penguin Book of the Renaissance, 2001 ; chapitre de Ralph Roeder, Lorenzo de’ Medici.

Will Durant, Histoire de la civilisation : La Renaissance, Editions Rencontre, 1963.

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