Savonarole et le Bûcher des vanités

 7 février de l’an 1497, Florence, Piazza della Signoria

Pourtant ville de lumière et de culture, Florence est en ce jour éteinte. Il s’agit en effet d’une bien sombre journée pour le joyau de la Toscane qui perdit, parmi d’autres trésors, quelques peintures païennes réalisées par Botticelli, envoyées au feu par leur propre créateur. Serait-il devenu fou ? Au regard de La Nascita di Venere (La naissance de Vénus) ou La Primavera (Le printemps), nous ne pouvons que penser que les œuvres emportées par la fumée devaient être tout aussi exceptionnelles. Comment expliquer ce geste, à la fois abominable et inattendu.

Tout commence à Ferrare le 21 septembre 1452, lors de la naissance du futur frère dominicain Girolamo Savonarola (Jérôme Savonarole en français). Dès l’âge de 20 ans, Savonarole montre un caractère moraliste exaspéré par le luxe, la corruption et la frivolité qu’il dénonce fermement dans De Ruina Mundi. En 1475, il écrit le poème allégorique De Runia Ecclesiae dans lequel il expose son mépris pour l’Eglise catholique romaine, accusée de pervertir le christianisme et d’utiliser à outrance son pouvoir.

Cependant, après avoir reçu l’appel de Dieu dans une église de Faenza, il décide de quitter la médecine, à laquelle il s’était jusqu’alors consacré, afin de rejoindre un couvent dominicain à Bologne. C’est ainsi qu’il quitte furtivement le foyer familial le 23 avril 1475, en prenant soin d’expliquer son départ dans une lettre. Un an plus tard, il reçoit l’habit et devient officiellement frère dominicain.

Au sein du couvent, Savonarole mène une vie emprunte d’un ascétisme rigoureux, consacrée à la théologie et à la lecture de Saint Augustin et Saint Thomas, avant de rejoindre le couvent de San Marco à Florence en 1482. Dès lors, il est envoyé par son ordre dans différentes villes afin de prêcher la parole de Jésus et devient de plus en plus puissant et influent, se liant d’amitié avec quelques intellectuels, à l’instar de Pic de la Mirandole. Pourtant, Lorenzo de’ Medici (Laurent de Médicis en français), alors à la tête de la République florentine, use de son influence pour le faire revenir dans sa ville en 1489, suivant certainement le conseil de Pic de la Mirandole qui l’estimait beaucoup. La même année, Savonarole commence ses prédications, s’attachant à détourner la population de la luxure et de la légèreté des mœurs instaurées par les Médicis, et appelle à un retour à un ascétisme chrétien, évoquant Jésus Christ comme roi du peuple florentin. Un an plus tard, le frère dominicain devient prieuré du couvent Saint Marc.

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Couvent San Marco, Florence

Charismatique et orateur aux paroles prophétiques, dit-on, Savonarole reçoit le soutien du peuple. Effrayé par la mort, Laurent de Medicis, alors à la tête de Florence, demande même à recevoir le frère Jérôme à son chevet lorsque, souffrant de la goutte, il sent sa fin approcher en 1492. Lui demandant sa bénédiction avant de trépasser, Savonarole le lui aurait refusé car la condition qu’il avait formulée à cela fut rejetée par le Médicis : il s’agissait de libérer Florence de l’emprise des Médicis qui ne cesse de détourner cette ville du droit chemin. Ayant évidement refusé, Laurent le Magnifique s’est éteint à l’âge de 43 ans, laissant derrière lui sa famille dans une situation peu enviable…

Vasari, Lorenzo de’ Medici, vers 1534 (oeuvre posthume)
Ghirlandaio, Pierre de Médicis, Bibliothèque nationale, Naples

Sa mort fut en effet un coup dur pour la famille qui perd son chef le 8 avril 1492. A vingt ans, Pierre, fils ainé de Laurent de Médicis, devient ainsi le nouveau maître de Florence. Impopulaire, il reçoit le surnom de « Malchanceux » pour son incapacité à redresser la situation. Il faut dire aussi que les circonstances ne lui sont pas favorables… En 1492, le roi de France Charles VIII se rend en Italie afin de récupérer ce qui, selon lui, lui revient de droit : Naples. Afin d’y accéder, il projette de faire passer l’armée française par la Toscane. Cet événement vient confirmer la vision prophétique de Savonarole, annonçant une invasion étrangère imminente, emportant avec elle violence et terreur…

Après s’être emparée de la forteresse de Sarzana, l’armée de Charles VIII force Pierre à négocier. Le roi accepte de ne pas occuper la ville mais sans pour autant détourner le chemin de ses soldats. De surcroît, bien que l’armée n’occupe pas Florence, au plus grand soulagement de ses habitants, les villes de Pise et Livourne ainsi que les forteresses alentours de Sarzana, Ripafratta, Sarzanello et Pietrasanta n’ont pas cette chance.

Le peuple, considérant la venue des Français comme une punition divine, décide alors de chasser les Médicis hors de la ville. Forcés à l’exile, les membres de la famille Médicis quittent donc Florence en 1494 (pour n’y revenir qu’en 1498). Dès lors, Savonarole s’empare du pouvoir en s’imposant comme le sauveur du peuple florentin. En effet, le frère dominicain négocie avec Charles VIII les conditions de paix et devient maître de Florence. Débarrassé de l’influence néfaste et délétère des Médicis, le frère moralisateur instaure une république religieuse, prenant la forme d’une dictature théocratique. Véritable despote politico-religieux, il continue de lutter contre la corruption et le luxe qui empêchent le peuple d’expier leurs péchés.

L’apogée de son pouvoir se manifeste par l’élévation, sous son impulsion, du « Bûcher des vanités » le 7 février 1497, sur la place de la Seigneurie, autour duquel la population est appelée à jeter au feu tout objet impliquant le luxe, le narcissisme, la frivolité et la tendance à se détourner du spirituel au profit du matériel. C’est ainsi que les peintures païennes de Botticelli finirent brûlées aux côtés de nombreux bijoux, livres, perruques, miroirs, robes…Quelle tristesse pour les amoureux de son art!

Représentation anonyme du Bûcher des Vanités sur la Piazza della Signoria

Cependant, la gloire de Savonarole touche maintenant à sa fin. Ses critiques incessantes envers l’Eglise et le vicaire du Christ, Alexandre VI, irritent grandement ce dernier. Après quelques avertissements, la lutte entre le moralisateur zélé et Rodrigues Borgia, devenu pape en 1492, s’envenime : après que le pape ait invité le peuple de Florence à remettre le perturbateur entre les mains du Vatican, il lui rend sa liberté, à condition que Florence rejoigne la ligue anti-française. Ayant repris ses bonnes vieilles habitudes de prédicateur radical, Savonarole continue de se fritter avec Alexandre VI qui, en réaction, jette l’interdit sur Florence. De surcroît, une partie de la population, représentée par les arrabbiati (« enragés »), est également devenue hostile à ce moine. Ainsi, la seigneurie l’arrête et l’emprisonne dans le palais, en attendant l’arrivée des représentants du pape. Un procès est alors ouvert le 19 mai 1498. Menés par le fils du pape, César Borgia, les émissaires papaux finissent par le déclarer hérétique et, en conséquence, le condamnent au bûcher.

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Stefano Ussi, Exécution de Savonarole, XIXe siècle

Et c’est ainsi que l’exacerbation de la colère du pape mena le Fra Girolamo Savonarola à la mort sur la même place où ce dernier avait monté le Bûcher des vanités.  Savonarole est alors pendu, puis brûlé, devant le palais de la Seigneurie le 23 mai 1498, rejoignant les flemmes coupables qui emportèrent les peintures de Botticelli un an plus tôt. Solution peut-être un peu radicale, je vous l’accorde, mais qui ne manque certainement pas d’ironie.


Sources :

Encyclopoedia Unviversalis, corpus 20, Savonarole

Franco Cesati, Les Médicis, Histoire d’une dynastie européenne

Ivan Cloulas, César Borgia, Fils de pape, prince et aventurier

Roland Barraux, Savonarole ou le bûcher des vanités

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