Les racines de la croyance en la sorcellerie remontent à l’Antiquité. Les pratiques magiques et les connaissances des guérisseuses liées à la nature étaient en effet répandues chez les peuples de cette période. La Grèce antique, où a émergé une multitude de croyances en la magie et de cultes ésotériques, désigne les sorcières sous le terme de “magoi”, c’est-à-dire les femmes qui disposent de pouvoirs surnaturelles. Depuis des siècles donc, ces figures magiques ont captivé l’imaginaire collectif, notamment à travers la culture, la littérature et la mythologie. Et quoi de mieux pour Halloween que de plonger dans l’histoire de l’une d’entre elles : la séduisante Circé et sa rencontre avec Ulysse.

Circé, dont le nom signifie littéralement “oiseau de proie”, est une figure emblématique de la mythologie grecque. Elle est la fille d’Hélios, le dieu du soleil, et de Persé, une nymphe océanique. Et puisqu’on en est à parler de famille, sachez qu’elle est aussi la tante de la sorcière Médée, notamment connue pour sa sombre apparition dans l’histoire de Thésée.
Bien que les récits antiques la décrivent comme une belle et séduisante femme, ne vous laissez pas tromper par son apparence. Son pouvoir, qui lui vient notamment de ses origines divines, réside dans sa capacité à concocter des potions et à utiliser des sorts pour transformer les hommes en animaux pour se venger, voire pour se divertir. D’où d’ailleurs les nombreuses représentations artistiques de la magicienne entourée de bêtes sauvages. Telle une sirène, elle sait également ensorceler les hommes de sa belle voix.

Elle est redoutée pour sa capacité à ensorceler les voyageurs égarés sur son île, l’île d’Éa. Celle-ci est garnie de forêts plus denses les unes que les autres, et habitée par des bêtes sauvages qui étaient autrefois des hommes avant que la sorcière, fidèle à elle-même, ne les transforme d’un coup de baguette magique. L’un des épisodes les plus célèbres ayant eu lieu sur cette île est lié à l’épopée d’Ulysse, le héros de l’Odyssée d’Homère que nous avons tous dû lire au collège.
Heureux qui comme Ulysse… rencontre Circé
Oeuvre : Circé et les compagnons d’Ulysse

Alors qu’Ulysse et ses compagnons naviguent en mer Égée, ils atterrissent sur l’île d’Éa. Ils tentent de rester sur le rivage pour éviter le coeur de l’île où ils pourraient croiser de redoutables adversaires. Bon finalement, tandis qu’Ulysse reste à quai, ses intrépides compagnons décident de partir à l’aventure et jalonnent une vallée où se trouve une maison. Vous la sentez venir : il s’agit bien sûr de la maison de la sorcière. Parvenue devant sa porte, la troupe entend la jeune femme chanter de sa voix voluptueuse et tisser une toile éclatante dont la beauté rend hommage à sa divinité. Tous sont sous le charme. Ainsi entrent-ils dans la demeure de la sorcière, heureuse de recevoir de nouvelles proies, à l’exception d’Euryloque qui sent le piège arriver. Après les avoir invités à s’assoir sur des sièges et des fauteuils, elle leur offre une boisson à base de vin de Pramnos dans laquelle elle ajoute du fromage battu, du miel vert et de la farine. Mais ce n’est pas tout : si le liquide a l’air déjà quelque peu douteux, elle y glisse également une drogue, comme à son habitude, faisant oublier à la petite troupe d’hommes leur patrie d’origine.

Charmés par la beauté de cette femme, les hommes ne se doutent de rien et ingurgitent d’une traite cette boisson diabolique. Une fois leurs coupes vides, Circé s’empare de sa baguette et les transforme en porcs, bien qu’ils gardent leur esprit humain. Elle conduit ses nouveaux animaux dans ses porcheries, tandis qu’Euryloque, probablement choqué par cette vision de ses amis, court en direction du bateau pour prévenir Ulysse, resté sur place.
Aussitôt alerté, notre héros dévoué s’élance dans la forêt pour libérer ses compatriotes de ce terrible sort. En chemin, le jeune Grec reçoit la visite du Dieu Hermès qui lui offre une herbe magique appelée “moly”, qui lui permettra de résister aux sortilèges de la magicienne. Lorsqu’il parvient au seuil de la maison, Circé accourt pour ouvrir la porte et inviter à entrer ce charmant marin. Elle le fait s’assoir sur un magnifique trône orné de clous d’argent et lui soumet le même breuvage magique qu’à ses nouvelles bêtes. Au grand damn de la sorcière, l’herbe donnée par le dieu du commerce et des voyages lui permet de boire cette potion sans en subir les effets.
Oeuvre : Circé offrant la coupe à Ulysse


Mais attention les amis, la suite est tout simplement magistrale : devant le visage déconcerté de la sorcière qui ne comprend pas l’absence d’effet de sa potion, Ulysse se précipite vers elle et la menace de son couteau.
Mais Circé est rusée : pour attiser sa curiosité et éviter qu’il ne la tue, elle lui dit qu’elle sait qui il est car elle aurait entendu parler de lui. Pire encore, elle l’invite à coucher avec elle. Ulysse, décidément plein de surprises mais pas si dévoué que ça, accepte sa proposition, après l’avoir fait promettre de ne pas lui faire de mal (et de retransformer ses amis au passage). Ulysse et la magicienne tissent donc un pacte qui va transformer leur relation.


Oeuvre : Ulysse qui demande à Circé ses compagnons

Oeuvre : Circé la coquine, faisant des avances à Ulysse

A la suite de ce plot twist pour le moins intéressant, Ulysse et ses hommes, qui avaient donc retrouvé leur forme humaine, restent sur l’île de la sorcière toute une année pour se la couler douce et festoyer avec elle. Puis vient le moment où l’euphorie s’essouffle et où les hommes, probablement las d’avoir tous les matins une nouvelle gueule de bois, souhaitent rentrer au bercail. Ainsi Ulysse supplie-t-il son amante de lui indiquer le chemin à suivre pour retrouver sa terre natale. Elle lui explique alors comment se rendre chez Hadès, le dieu des enfers, pour qu’il lui dévoile le destin qui l’attend à Ithaque. Après cette halte chez le maître de Cybère, Ulysse et ses compagnons retournent chez Circé. Celle-ci leur indique enfin comment affronter le charme des sirènes devant lesquelles ils devront passer pour rejoindre leur île. A la suite de ses explications, la sorcière leur fait ses adieux, sans doute de manière plus chaleureuse au mari de Pénélope avec qui elle conçut un à trois enfants (selon les sources).
Voilà une histoire pour le moins farfelue, qui témoigne de la puissance de la sorcière et de ses malins plaisirs à charmer les hommes croisant sa route. Elle nous permet également de comprendre les spécificités de Circé, considérée par certains comme une magicienne de l’amour, qui s’appuie sur la préparation de drogues et sur sa baguette pour piéger ses adversaires (et surtout les transformer !).

Musée national d’Australie-Méridionale, Adélaïde
Sources :
Jean-Paul Dubois-Lebrun, Mythologie d’hier à aujourd’hui, Editions Larousse, 2 février 2022.
Liana Miate (traduit par Babeth Étiève-Cartwright), “Circé”, World History Encyclopedia, 8 novembre 2022.
publié le 08 novembre 2022.
Michaël Martin, Sorcières et magiciennes dans le monde gréco-romain, Le Manuscrit, 2004.
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