Je ne sais pas vous, mais je ne peux m’empêcher de m’émerveiller chaque fois que je découvre qu’un objet ou un lieu tire son nom d’un mythe. Car oui, aujourd’hui, la mythologie est partout : le nom d’Europe qui tient son nom du mythe d’Europa et de Zeus, l’expression « être médusé » qui nous vient tout droit de Méduse, qui se plaisait à changer ses victimes en pierre en un seul regard, et le concept psychologique du narcissisme qui renvoie à un mythe créé il y a fort fort longtemps… Même le nom de la mer Egée, qui s’étend de la Grèce à la Turquie, provient de la mythologie. Mais pour comprendre l’origine de ce nom, il nous faut remonter à l’un des mythes les plus connus de la Grèce antique : celui de Thésée, prince d’Athènes…
Dans la mythologie grecque, Thésée, fils du roi athénien Egée, ignore le nom de son progéniteur : c’est qu’ayant passé son enfance dans la patrie de sa mère Aetra, à Trézène, Thésée est loin de se douter que celui qui siège sur le trône de la grande ville d’Athènes est en réalité son père. Cependant, sans doute en un beau jour de printemps où les fleurs inondaient les champs et où les oiseaux chantonnaient sous un soleil chatoyant comme dans toutes les histoires merveilleuses, la mère de Thésée emmène son jeune fils de seize ans près d’une pierre. Mais pas n’importe quelle pierre…

En effet, avant la naissance de notre héros, Egée était venu déposer une épée et des sandales d’or sous celle-ci, dans l’attente que son jeune fils, en âge de lever ce lourd rocher, récupère ses effets et se rende ensuite à Athènes où le roi le ferait reconnaître publiquement. Parce que le mythe aurait été très court si Thésée avait échoué, le protagoniste parvient évidemment à soulever la pierre et à y récupérer ce qu’elle cachait. Et c’est ainsi que Thésée se met en route pour Athènes, afin d’y retrouver son père et se faire reconnaître prince de la cité (à pieds évidemment, parce qu’accepter le bateau que son grand-père et sa mère lui proposaient aurait été trop facile). Le voyage n’est cependant pas de tout repos : bandits et assassins rodent sur la route et font abattre sur les pauvres gens leur sadisme. Le seul exemple du charmant Procuste, qui occupe ses journées en découpant les membres de ses victimes trop grandes qui dépassent d’un lit sur lesquels il les allonge, ou en étirant les membres de ceux dont la taille est trop petite, vous donne la mesure de leur mode de fonctionnement.
Lorsque notre héros arrive à Athènes, il fait le choix de ne pas révéler son identité, bien qu’Egée ait quelques soupçons. Mais sa belle-mère Médée, qui possédait des dons de magicienne, l’a bel et bien reconnu. Elle sait qui est véritablement Thésée et ce qu’il représente pour son propre fils, alors héritier du roi : un sérieux concurrent au trône d’Athènes. Pleine d’ambition, Médée voit en effet pour son enfant Médos un destin hors du commun. La couronne d’Athènes ne peut lui échapper. Vous l’aurez compris, la subite irruption de Thésée vient contrecarrer ses plans et cela, Médée ne peut le tolérer. Et quoi de mieux pour se débarrasser d’un adversaire encombrant que de le faire tuer ? Méthode simple, et on ne peut plus efficace.
Après moult vaines tentatives de meurtre, qui seraient fort longues à décrire et qui nous éloigneraient quelque peu de notre sujet, Egée finit in extremis par reconnaître son fils à son épée et à ses chaussures d’or. Voyant son sort se refermer sur elle, Médée décide dès lors de quitter Athènes, fuyant en toute hâte sur un char tiré par des cobras, en prenant bien sûr le soin d’emporter avec elle une partie considérable du trésor de la cité. Une belle sortie triomphale donc. Malheureusement pour elle, la moitié du trésor tombe du char dans la précipitation de sa fuite. Il y a décidément des gens pour qui la roue ne tourne jamais…

Pour revenir à nos moutons, Thésée et Egée, enfin réunis, coulent des jours heureux dans la belle cité athénienne dont ils partagent désormais le gouvernement. Toutefois, tout n’est pas rose sur le tableau pour les Athéniens : depuis la mort de son fils Androgée et sa victoire sur Athènes, le roi de Crète, Minos, exige que la ville envoie sept jeunes hommes et sept jeunes filles tous les neuf ans afin de nourrir le Minotaure, enfermé dans le labyrinthe de Dédale dont il ne peut s’échapper. C’était cependant sans compter sur la témérité et la bravoure de Thésée. Dès que ce dernier prend connaissance de ce terrible drame qui frappe la cité qu’il chérit, il décide de se porter volontaire pour mettre un terme à ce carnage et terrasser ce monstre à corps d’homme et à tête de taureau. Voilà une bien belle quête pour un jeune prince !
Malgré les plaintes de son père qui le supplie de ne pas s’y rendre, Thésée part malgré tout affronter la bête sur l’île de Crète et délivrer les siens de son emprise. Egée, pour qui l’attente du retour de son enfant est insoutenable, lui demande avant son départ de faire hisser les voiles blanches sur son bateau à son retour, afin d’avertir au loin les Athéniens qu’il est toujours en vie, ou de hisser les voiles noires dans le cas où il n’aurait pas survécu. C’est donc en promettant à son père d’annoncer le succès de sa quête grâce à la couleur des voiles de son bateau que Thésée quitte les côtes d’Athènes, en se glissant dans les rangs des jeunes victimes envoyées à la bête afin d’approcher de près le Minotaure. Arrivé aux portes du labyrinthe, il parvient à ne pas se perdre grâce à une pelote de fil* que lui donne la belle Ariane, fille de Minos, tombée follement amoureuse du jeune athénien.

Comme le Petit Poucet qui suit les petits cailloux pour ne point s’égarer, Thésée suit de près le fil, parvient à s’approcher de la bête et à lui porter un coup fatal. Victoire pour le jeune prince !
Selon le récit du géographe Pausanias au IIe siècle de notre ère, Thésée aurait ramené avec lui le taureau dans la citadelle afin de l’offrir en sacrifice à Athéna.

Sorti vainqueur de son combat contre le Minotaure, Thésée embarque sur son bateau avec ses compagnons et emmène avec lui Ariane qui avait accepté de trahir son père et de lui venir en aide à la seule condition que Thésée l’épouse. Désormais débarrassé du Minotaure, de l’emprise de Minos et de sa fille qu’il finit par abandonner sur l’île de Naxos*, Thésée, nageant en plein bonheur, vogue vers les terres athéniennes. Quant à Egée, qui attend impatiemment le retour de son fils, il guette quotidiennement, du haut de l’acropole, le navire du prince dont il espère apercevoir la blancheur des voiles claquer contre le vent. Malheureusement pour le roi, le destin en a décidé autrement… Porté par l’euphorie de la victoire, Thésée, résolument courageux mais pas très méticuleux, oublie de changer les voiles et arrive aux larges d’Athènes brandissant la couleur noire. Son père, apercevant avec douleur les voiles noires, est pris de désespoir. Inconsolable à l’idée d’avoir perdu son fils qu’il chérissait tant, le roi se jette à la mer, et disparait dans les profondeurs des eaux qui portent aujourd’hui son nom.
Triste et tragique fin pour un homme dont le fils était pourtant revenu en héros.
* Nota Bene : c’est de ce fil conducteur que tire son nom la fusée Ariane…
* Ne vous inquiétez pas pour Ariane: la jeune fille finira par rencontrer Dionysos et en sera bien consolée (mais ça, c’est une autre histoire).
Sources :
Edith Hamilton, “Thésée”, La mythologie, 1978
Pausanias, Description de la Grèce, T.1, L’Attique (Traduction française de M. Clavier)
Pseudo-Apollodore, Bibliothèque. Epitomé, I, I-24, Thésée (Traduction française de Ugo Bratelli)
Un article qui me rappelle les histoires sur la mythologie que je lisais dans ma jeunesse… Merci !
Avec grand plaisir 🙂