Au fil des saisons avec Pieter Bruegel l’Ancien

*** Contribution extérieure***

Vous en avez marre d’avoir très froid pendant quelques mois, puis très chaud les mois suivants ? Vous rêvez de pouvoir sauter d’une saison à une autre en claquant des doigts ? Eh bien, n’attendez plus, votre souhait peut se réaliser à tout moment ! Non, non, nous ne sommes pas en train de vous vendre un chauffage-climatiseur. Nous vous proposons quelque chose de bien plus intéressant ! Une rencontre avec Bruegel, ça vous dit ? Et vous passerez du soleil à la neige en un instant ! Comment est-ce possible ? Vous n’allez pas tarder à le savoir.

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Pieter Bruegel l’Ancien – La fenaison, 1565 (le cycle des saisons : juin-juillet)

Pieter Bruegel l’Ancien serait né entre 1525 et 1530, près de Breda, dans le sud des Pays-Bas. Peu d’éléments sur la vie de ce peintre belge nous sont parvenus et il faut se référer à Karel Van Mander, peintre et écrivain flamand, pour trouver le peu d’informations que nous avons aujourd’hui à disposition. Selon lui, Bruegel est d’abord l’élève de Pieter Coecke van Aelst, peintre flamand rendu célèbre par son tableau évoquant « la Cène » dans une sorte d’auberge. Bruegel sera plus tard fortement influencé par son maître. Durant l’année 1552, il se rend en Italie. Son itinéraire a été reconstitué à partir des dessins réalisés par l’artiste. Il ira jusqu’à Rome et ce voyage sera sûrement le seul de toute sa vie. C’est donc un personnage plutôt casanier et au début de sa carrière, ses ateliers prennent place à Anvers de 1551 à 1562. C’est d’ailleurs en 1551 qu’il est reçu franc-maître à la guilde de Saint-Luc, la corporation des peintres de cette ville. Il devient proche de Hans Franckert, un célèbre marchand originaire de Nuremberg qui deviendra son commanditaire. Dans un de ses articles, Karel Van Mander décrit la relation entre les deux hommes :

« Un marchand, du nom de Hans Franckert, lui commanda de nombreux tableaux. C’était un excellent homme qui était fort attaché au peintre. A eux deux, Franckert et Brueghel prenaient plaisir à aller aux kermesses et noces villageoises, déguisés en paysans, offrant des cadeaux comme les autres convives et se disant de la famille de l’un des conjoints. Le bonheur de Brueghel était d’étudier ces mœurs rustiques, ces ripailles, ces danses, ces amours champêtres qu’il excellait à traduire par son pinceau, tantôt à l’huile, tantôt à la détrempe, car l’un et l’autre genre lui étaient familiers. C’était merveille de voir comme il s’entendait à accoutrer les paysans à la mode campinoise ou autrement, à rendre leur attitude, leur démarche, leur façon de danser. Il était d’une précision extraordinaire dans ses compositions et se servait de la plume avec beaucoup d’adresse pour tracer de petites vues d’après nature. »

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Pieter Bruegel l’Ancien

Le dessin et la vie paysanne dans toute sa réalité, aussi absurde soit-elle, sont les deux passions de Bruegel. En effet, il commencera seulement à peindre durant les dernières années de sa vie. Avant, il était surtout connu pour être un grand dessinateur de gravures et grâce à l’invention de l’imprimerie, il peut facilement diffuser ses créations. Bruegel travaillera pour Jérôme Cock, un imprimeur et peintre qui a pour mission de diffuser les estampes de Bruegel. Dans les listes de ses commanditaires se détache aussi le banquier et fin collectionneur d’œuvre d’art, Nicolaes Jonghelinck qui amasse à lui seul seize tableaux de l’artiste.

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Pieter Bruegel l’Ancien – La petite Tour de Babel, 1563

En 1563, il épouse en 1563 Mayken Coeck, la fille de son ancien maître, mort en 1550 et, sous l’exigence de la mère de la mariée, il vient s’installer à Bruxelles. De cette union, naîtront deux fils, Pierre dit « d’Enfer » et Jean dit « de Velours » ou «L’Ancien » qui deviendront à leur tour des peintres de renom. Il s’éteint en 1569 et est inhumé dans l’église Notre-Dame de la Chapelle dans la capitale belge.

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Pieter Bruegel l’Ancien – La journée sombre, 1565 (cycle des saisons : février-mars)

Sa vie reste donc très partiellement connue mais son œuvre, elle, présente un peintre au talent nouveau et audacieux. Bruegel est surtout célèbre pour sa série du cycle des saisons, peints en 1565 avec entre autres Chasseurs dans la neige ou La Moisson. A l’origine, cette série de tableaux était une commande du commerçant anversois, Nicolaes Jonghelinck, qui les a entreposés sur les murs d’une même pièce afin d’offrir une totale immersion aux visiteurs. Pour la petite histoire, cette série de cinq tableaux comprend en réalité six tableaux. Les quatre saisons que nous avons l’habitude de traverser sont bien représentées chacune par un tableau mais à l’époque, Bruegel, comme ses contemporains, avait l’usage de rajouter le début du printemps et le début de l’été. Ces représentations se retrouvaient le plus souvent dans des livres de prières où elles figuraient sous la forme de miniatures. Ici, les saisons occupent le milieu de la scène. Malheureusement, les péripéties de l’histoire ont entraîné la perte du tableau du Printemps.

Bruegel - Hivers
Pieter Bruegel l’Ancien – Chasseurs dans la neige, 1565 (cycle des saisons : décembre-janvier)

Les passionnés de Bruegel pourront toujours se consoler avec les cinq autres tableaux qui présentent tous des caractéristiques inédites pour l’époque. Dans ces oeuvres, la nature devient, pour Bruegel, le sujet principal de ses histoires. Chaque scène représente les activités saisonnières allant du patin à glace en hiver à la moisson en été. Le tableau de l’hiver est d’ailleurs un témoignage de l’histoire. Bruegel y décrit la mini ère glaciaire qui a traversé l’Europe durant la Renaissance et que nous retrouvons dans de nombreux écrits. Le souci du détail avec le chasseur en plein tir, les couleurs particulières pour chaque saison, ou encore le mouvement des personnages et de l’eau sont des preuves du génie du peintre. La profondeur dans ses peintures et le point de vue surplombant offrent une manière nouvelle de représenter les paysages. Certaines scènes semblent même avoir été peintes en quelques coups de pinceaux, alliant netteté et sobriété. Avec ses nouvelles techniques, Bruegel a bousculé les habitudes au niveau du rythme et de la composition.

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Pieter Bruegel l’Ancien – La moisson, 1565 (cycle des saisons : août-septembre)

Un côté très mélancolique s’échappe aussi de ces tableaux qui offrent tous une multitude d’histoires dans l’histoire. A chaque passage, les curieux peuvent découvrir de nouveaux détails et prendre goût à l’humour un peu particulier de Bruegel. Dans son tableau La Moisson, le peintre s’est amusé avec des détails qui devaient faire rire ses contemporains. Par exemple, la position des paysannes est la même que celle du blé et il y a un jeu humoristique entre le chapeau et la cruche. Certes, ce n’est pas la blague de l’année mais Bruegel se révèle être aussi un blagueur.

Le repas de noce, peint en 1568, est sûrement le tableau le plus connu de ce peintre de la renaissance. C’est d’ailleurs avec cette œuvre qu’il est aujourd’hui considéré comme le peintre de la vie paysanne. A son époque, les sujets ruraux étaient loin d’être appréciés, ni d’être pris au sérieux. Bruegel a pourtant tenté de représenter le monde paysan avec un réalisme étonnant. Cette salle bondée de paysans est le symbole de la communion et du partage. Les couleurs chaudes appellent le regard et le spectateur n’a qu’une envie, rejoindre la fête et prendre place autour du banquet. Le tableau a même été repris, déformé, dans une des scènes finales de l’album Astérix chez les Belges.

Bruegel - Les noces
Pieter Bruegel l’Ancien – Le repas de noce, 1568 
Bruegel - Astérix
Le repas de Noce repris dans la BD “Astérix chez les Belges”

En 1560, Bruegel peint le tableau Les Jeux d’enfants. Un tableau aussi atypique par le nombre de détails qui figurent sur la toile que par les couleurs bien définies. Plus de 90 jeux d’enfants de l’époque y sont représentés. Allant du cerceau à la marelle, les quelque 200 enfants ont de quoi s’amuser. Bruegel y présente-t-il l’insouciance de l’enfance ou la folie humaine ? Le débat reste ouvert.

Bruegel - Jeux d'enfants
Pieter Bruegel l’Ancien – Les jeux d’enfants, 1560

Et enfin, Bruegel est aussi considéré comme un second Bosch, disparu un demi-siècle plus tôt. Jérôme Bosch, peintre néerlandais mort en 1516, appartient au mouvement des primitifs flamands. Connu pour son célèbre triptyque, Le Jardin des délices, il allie aussi bien créatures fantastiques et symboles métaphoriques. Bruegel s’inspire fortement de Bosch dans son tableau La chute des anges rebelles en 1562 mais y intègre une collection très personnelle de nouveaux monstres et d’animaux découverts durant les dernières conquêtes des Nouveaux Mondes, comme un paresseux d’Amérique du Sud.

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Pieter Bruegel l’Ancien – La Chute des anges rebelles, 1562
Bruegel -Délice Bosch
Jérôme Bosch – Le jardin des délices, entre 1503-1510

Aujourd’hui considéré comme un des symboles du territoire belge, Bruegel l’Ancien est sûrement l’un des artistes les plus énigmatiques de l’histoire de l’art. Il a transformé la peinture européenne du milieu du XVIe siècle et offre une vision historique tout à fait nouvelle de son époque !

Marie-Belle Pargeshian

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