Le duc d’Aumale, le Prince collectionneur

*** Contribution extérieure***

Quatrième fils du dernier roi qui a régné sur la France, Louis-Philippe Ier, Henri d’Orléans (1822-1897) avait une destinée toute tracée à sa naissance. Prince du sang puis fils de roi, le petit Henri devient également le principal héritier des Bourbons-Condé, branche cousine, dont le dernier représentant était son parrain. Le voilà à huit ans l’un des plus gros propriétaires terriens de France, et donc l’un des plus riches du pays. Il vit son enfance et son adolescence sous la monarchie de son père, et s’épanouit dans les sciences humaines, la littérature, mais surtout l’exercice militaire. La mémoire collective a d’ailleurs gardé en souvenir les camps militaires établis à Fontainebleau, demeure appréciée par le monarque.

Henri d’Orléans enchaîne en effet les statuts militaires. Après avoir été sous-lieutenant en 1837, Lieutenant en 1838, chef de bataillon en 1839 puis Lieutenant Colonel en 1841, il finit Gouverneur de l’Algérie en 1847 à l’issue de la prise de la Smalah d’Abd-el-Khader. Sa carrière militaire est une véritable passion pour Aumale qui s’épanouit dans le prestige que lui donne sa fonction en Algérie. Le choc de la révolution qui renverse son père en février 1848 remet cependant tout en question pour lui. C’est le temps de l’exil en Angleterre, un temps de renouveau et de reconstruction. Marié en 1844 à sa cousine germaine Marie-Caroline de Bourbon-Siciles (1822-1869), il s’installe alors avec elle à Orléans House dans la région londonienne. Défenseur d’un régime libéral – à l’image de la Monarchie de Juillet-, le duc est une figure de l’opposition à Napoléon III à l’étranger. Ni pour un régime républicain, ni pour un régime monarchique, Aumale est avant tout pour la libéralisation des corps civiques et sociaux. Cela en fait une figure politique de premier ordre, même en exil dans un pays étranger. Il ne peut cependant plus s’épanouir dans les fonctions de représentation qu’il avait exercées durant tout le régime de son père. Pendant plus de 20 ans d’exil, le duc d’Aumale va alors se consacrer à sa deuxième passion : la collectionnite.

Le duc d’Aumale et son précepteur et ami Cuvillier-Fleury devant la bibliothèque de Chantilly 

 

Très Riches Heures du duc de Berry (Mois de Janvier), XVe siècle

Orléans House devient ainsi un centre culturel en Angleterre, où le duc reçoit les plus importants personnages de son temps pour y montrer sa collection de plus en plus prestigieuse. Le lieu prend une telle importance qu’on y voit parfois un contrepouvoir à l’autorité impériale en France…

 

Mais le drame perpétuel de la vie du duc resurgit de nouveau avec la mort de son deuxième fils, son unique héritier, en 1872. Devenu vieux, le Prince collectionneur  n’a plus personne à qui léguer sa fortune et son précieux trésor conservé à Chantilly. Par ailleurs, il est forcé à l’exil une nouvelle fois pour une plus courte période (1886-1889). En effet, le parti royaliste, par lequel Aumale est lié par le sang, enchaîne les maladresses politiques, ce qui conduit à la marginalisation des revendications monarchistes dans une Troisième République de plus en plus affirmée. Alors que le duc d’Aumale était proche de son neveu, le comte de Paris prétendant Orléaniste, les relations entre les deux hommes se distendent, tant sur le plan politique que personnel. L’un, expérimenté et plus détaché de son ancien devoir de représentation, n’arrive plus à comprendre l’autre qui reprend des revendications royales sans prendre en compte l’évolution des pensées de la fin du XIXe siècle. En somme, Aumale est un visionnaire qui réfléchit en termes de libéralité, plutôt que par le nom du chef de l’Etat. Au château de Chantilly, les anciens appartements réservés au comte de Paris deviennent ainsi des pièces d’exposition. Aumale place avec le temps la France avant les intérêts de son neveu. Le second exil, conséquence des maladresses du comte de Paris, lui parait être une confirmation de l’ancrage de la République, et la nécessité pour lui de trouver une solution pour pérenniser sa collection après sa mort.

C’est comme cela que le musée Condé voit le jour. En effet, Aumale décide de léguer ses biens à l’Institut de France dont il est membre, afin de faire de son château un musée dans lequel les visiteurs admireront ses collections. C’est ce qui rend le musée Condé du château de Chantilly si unique : le testament du duc d’Aumale certifie qu’il ne faut rien toucher de ce que le duc a mis en place dans son château. Le 7 mai 1897, trois jours après le terrible incendie du bazar de la charité, Aumale est terrassé par une crise cardiaque après avoir passé ses dernières heures à rédiger des lettres de condoléances et à penser à sa nièce par alliance, la duchesse d’Alençon, morte dans la catastrophe. Le 17 avril 1898, le musée Condé du château de Chantilly ouvre pour la première fois ses portes.

Entrée du château  de Chantilly

 

Sources:

CAZELLES Raymond, Le Duc d’Aumale, Prince, Chef de guerre, Mécène, Editions Tallandier, Paris, 1984

GARNIER-PELLE Nicole, Les tableaux de Chantilly : la collection du duc d’Aumale, Flammarion, Paris, 2009.

Melvin Mouton

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