Connaissez-vous la légende noire qui entoure la Tour de Londres ? Cette Tour qui accueillit une centaine de prisonniers entre 1100 et 1952 parmi lesquels figuraient des reines déchues, de célèbres bandits, un roi de France… De quoi claquer des dents, surtout lorsque l’on franchit le seuil de la salle de torture. Car qui dit prison, dit bien sûr torture !


La Tour de Londres doit sa création aux Normands, à l’époque de Guillaume le Conquérant, dont nous connaissons tous l’histoire grâce à la célèbre Tapisserie de Bayeux. Les vestiges archéologiques nous donnent à penser qu’il aurait construit un bastion sur le site de l’actuelle tour. Ils seraient donc à l’origine de la reluisante Tour Blanche. Mais en réalité, les premières pierres de cette forteresse furent construites bien plus tôt. En effet, il nous faut remonter vers 55 av J-C., à l’heure où les Romains envahirent l’Angleterre sous le règne de l’empereur Claudius. Ils furent d’ailleurs à l’origine de la fondation de la ville de Londres. Les Normands ont donc réutilisé les constructions murales réalisées par les Romains.
Aujourd’hui, nous pouvons apercevoir sur le site de la Tour de Londres toute une forteresse dont les travaux de construction furent entamés sous le règne de Richard Cœur de Lion. Puis, après moult péripéties, la forteresse prend son apparence actuelle en 1350. La Tour Blanche en son centre est encerclée par divers bâtiments (la Tour Verte, la chapelle de Saint-Pierre ad Vincula…), puis par des remparts comprenant ci et là des tours telles que la Tour de la Cloche, la Tour de la Lanterne, la Tour Bowyer, la Tour de Silex, la Tour Devereux, la Tour Sanglante… L’on y compte au total pas moins de 21 tours !

Mais à quel moment les souverains, qui ont contribué au développement de ce site, ont-ils décidé d’en faire une prison ? Hum… Jamais. En réalité, cette Tour de Londres n’a jamais été envisagée comme une prison officielle. Pourtant, l’habitude d’y enfermer des prisonniers date de 1100, où le premier détenu fut incarcéré. Ranulf Flambard, évêque accusé d’extorsion de fonds, fut en effet retenu prisonnier dans l’enceinte de cette Tour. Seulement, à la surprise de tous, l’évêque de Durham parvint à s’en évader en février de l’année suivante et ce, d’une façon tout à fait ingénieuse ! Ranulf Flambard avait le bras long et de nombreux amis, ce qui lui permettait de ne manquer de rien dans sa cellule. Il avait donc droit à des vins de qualité. Mais nul ne savait alors que ces derniers seraient responsables de son évasion… Un soir, il trouva dans une bouteille soigneusement fermée une longue corde accompagnée d’un message le prévenant que ses amis comptaient bien le sortir de cette fâcheuse situation. Le jour J venu, il offrit du vin à ses geôliers qui tombèrent tous ivres morts. Profitant de leur sommeil, l’évêque attacha la corde et se laissa glisser le long de la Tour. Ses fidèles le retrouvèrent au pied de celle-ci et le portèrent jusqu’à leur navire, prêt à naviguer vers la Normandie pour y trouver refuge.
Du XIIe au XIXe siècle, de nombreuses personnes vinrent gonfler les rangs des prisonniers de la Tour, parmi lesquels de célèbres personnages, à l’instar de Thomas More. Vous savez, le conseiller humaniste et ami d’Henry VIII qui refusa, en 1534, de reconnaître son roi comme le chef suprême de l’Eglise d’Angleterre. Le célèbre conspirateur Guy Fawkes fut également incarcéré entre les murs de la Tour, après avoir fomenté un attentat sur la Chambre des Communes le 5 novembre 1605. Le plus surprenant des prisonniers reste cependant Jean II le Bon. Oui, oui, un roi de France ! Fait prisonnier à la bataille de Poitiers contre les Anglais le 19 septembre 1356, Jean II est emmené à Londres, après avoir passé deux ans à Bordeaux, en tant que prisonnier d’Edouard III. Bien qu’il bénéficiât de conditions d’emprisonnement à la hauteur de son rang, c’est-à-dire qu’il eut droit à des repas dignes d’un roi et à recevoir la compagnie de plusieurs membres de sa Cour, le roi avait hâte de quitter le territoire anglais afin de regagner ses terres. C’est alors qu’un compromis fut proposé : Payant une rançon de trois millions d’écus d’or et laissant à la Tour ses deux fils cadets, Jean II fut libéré. Cependant, apprenant l’évasion de son fils Louis d’Anjou, il retourna de sa propre initiative à la Tour afin de rattraper la lâcheté et le manque d’honneur de son fils, contraires au code de la chevalerie auquel il était tant attaché. C’est alors qu’il aurait prononcé cette fameuse phrase : « Si la bonne foi était bannie de la terre, elle devrait trouver asile dans le cœur des rois ». C’est donc en captivité qu’il mourut le 8 avril 1364.

Ce qui est particulièrement touchant lors de la visite de ce site est assurément les traces sur les murs de la Tour Beauchamp, laissées par les prisonniers. Ainsi peuvent être observés des dessins datant pour la plupart des XVIe et XVIIIe siècles. Nous trouvons par exemple une trace laissée par Thomas Abell, prêtre de la première épouse d’Henry VIII, Catherine d’Aragon, sous forme de cloche imprégnée en son centre d’un A. Il y a également le dessin laissé par Hew Draper of Brystow qui mérite d’être évoqué : il représente une sphère entourée de signes du zodiac avec l’influence des planètes sur chaque heure de chaque journée. C’est étrange de retrouver ce genre de graffiti, surtout lorsque l’on sait qu’il fut incarcéré pour sorcellerie…


De nombreuses autres traces sur les murs sont également visibles :
Entre les guerres extérieures et les crises dynastiques internes au pays, beaucoup furent donc prisonniers et enfermés dans cette Tour. Mais qu’en est-il de la torture et des exécutions ?
La torture fut certes employée, mais elle était surtout utilisée afin de soutirer des informations. En réalité, elle ne fut appliquée que sur certains cas et non sur une majorité de prisonniers comme la légende aurait tendance à nous le faire croire. Mais parmi les inventions torturantes utilisées figurent la « Skevington’s Daughter » (« la Fille de Skevington »), instrument de torture créé sous le règne d’Henry VIII par un lieutenant de la Tour, sir William Skevington. En général, les victimes ne pouvaient supporter une telle douleur plus d’une heure.
Comme les séances de torture, les exécutions à la Tour de Londres ne furent pas nombreuses. En effet, les exécutions publiques avaient davantage lieu sur Tower Hill, colline extérieure jouxtant les murs de la Tour. Cependant, un certain nombre de prisonniers perdirent bel et bien la vie dans l’enceinte même de la forteresse. Parmi les dix personnes qui y furent exécutées peut être citée la fameuse Anne Boleyn, seconde épouse d’Henry VIII, accusée d’adultère et d’inceste. Selon la légende, cette dernière aurait demandé quels appartements occuperaient-elles le temps que sa sentence soit appliquée. On lui répondit alors qu’elle habiterait les appartements qu’elle occupa jadis lors de son couronnement. Quelle ironie cruelle. Mais la reine Anne n’était pas la seule à s’être éteinte à la Tour de Londres. Comme si cela ne suffisait pas, Henry VIII envoya sa cinquième épouse, Catherine Howard, suivre le même destin. Lady Jane Grey, la « reine de neuf jours », rejoignit également le rang des condamnés.

Vous trouverez un monument commémoratif à l’emplacement où eurent lieu ces exécutions. Créé par Brian Catling, ce monument de granite et de verre comporte un coussin de cristal reposant sur deux disques superposés. Si vous vous approchez, vous pourrez y lire l’inscription suivante : « Qu’ils reposent en paix pendant que nous traversons les générations autour de leurs luttes et de leur courage ».


Selon moi, l’un des éléments qui conféra à cette Tour ce mythe obscure de lieu de torture et de meurtre est incontestablement la disparition en ces lieux des deux fils d’Edouard IV. Edouard V et Richard de Shrewsbury, duc de York, furent en effet emmenés à la Tour à la mort de leur père, Edouard IV, sous les ordres de leur oncle, le duc de Gloucester. Reconnus illégitimes en juillet 1483, les deux jeunes York, âgés respectivement de 12 et 9 ans, furent évincés de la succession royale, laissant la couronne entre les mains de leur oncle, devenu Richard III à son couronnement. Après quoi nul ne sut réellement ce qu’il advint des jeunes enfants. Cependant, deux squelettes, cachés sous l’escalier allant des appartements royaux à la chapelle Saint-Jean, furent retrouvés en 1674. Enterrés à l’abbaye de Westminster, lieu de sacre des souverains britanniques, les squelettes furent analysés en 1933 afin d’avancer dans cette énigme. Selon l’autopsie, ces restes humains appartenaient à deux enfants d’environ 10 et 12 ans… De quoi glacer le sang ! Cette sombre histoire, ayant eu vraisemblablement lieu dans la Tour Sanglante, conféra à cette dernière son sinistre nom.

Rassurez-vous, la Tour de Londres n’était pas seulement le théâtre de meurtres et de tortures. Elle servit également, à des temps divers, de palais royal, d’armurerie, de ménagerie, de trésorerie et de musée.

La pluralité de ses fonctions au fil du temps est d’ailleurs ce qui, à mon sens, fait le charme de cette bâtisse. Je fus également surprise de découvrir qu’elle abritait, encore aujourd’hui, les joyaux de la Couronne britannique. Exposés aujourd’hui dans la caserne de Waterloo, ces objets incrustés d’or et ornés de pierres précieuses ont de quoi impressionner ! Vous pouvez alors découvrir la couronne impériale d’Etat qui comporte exactement 2 868 diamants, 17 saphirs, 11 émeraudes, 5 rubis et 273 perles. Quel bijou que cette couronne ! Magnifique objet que la reine porte chaque année à la cérémonie d’ouverture du Parlement. Mais ce n’est pas tout. Vous pouvez également observer la Cullinan I (« Grande étoile d’Afrique ») qui représente le plus gros diamant taillé au monde. Cette pierre précieuse fut sertie dans le sceptre royal à la croix. Bagues royales, épées de cérémonie, robes de couronnement ainsi que de nombreux objets précieux sont également présentés. Je n’ai malheureusement pas de visuels à vous présenter, la prise de photos étant interdite à l’intérieur de la caserne. Mais cela vous donne une excuse pour vous rendre sur place, histoire de les voir par vous-mêmes !
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