Palmyre, cette ville qui tire son nom des nombreux palmiers qui l’entourent, cette oasis où faisaient halte les caravaniers pour s’y reposer, apprécier la beauté du paysage et la saveur des dattes…

Le deuxième Livre des Chroniques de l’Ancien Testament considère que le roi Salomon fut à l’origine de cette ville que les Orientaux appellent Tadmor. Cependant, certains pensent que le rapprochement de Palmyre avec la ville de Tadmor serait né d’une confusion avec la ville de Tamar, mentionnée dans le Livre des Rois, qui se trouvait au sud du royaume de Juda. Nous ne savons ainsi que peu de choses sur les origines de cette cité, et les quelques informations dont nous disposons ne peuvent, semble-t-il, faire office de certitudes. Ce que nous pouvons cependant affirmer, est que Palmyre fut vraisemblablement une ville magnifique et hautement importante de par sa situation stratégique sur la route de la soie. Ajoutez à cela des steppes alentours propices à l’élevage de troupeaux et des salines à proximité et vous avez de quoi éveiller le désir de conquête de Rome…
Des temps troubles pour Palmyre
C’est ainsi qu’après moult tentatives, la Cité des Palmiers fut intégrée à l’Empire romain en l’an 19 de notre ère. Ce n’est toutefois qu’en 212 que l’empereur Caracalla fit de cette ville une colonie romaine. Les ambitions perses vinrent cependant troubler le Moyen-Orient durant les années qui suivirent. La cité de Palmyre se trouva alors être un objet de conflit entre l’Empire romain et l’Empire perse, comme le souligna Pline l’Ancien : «Palmyre jouit d’un sort privilégié entre les deux grands empires, celui des Romains et celui des Parthes[1], et tous la sollicitent, dès que renaissent les conflits. »
Palmyre avait alors pour seigneur Odenath, d’origine nabatéenne et membre de la dynastie de Hairainides qui accéda à la citoyenneté romaine sous Septime Sévère. Dans la querelle opposant Rome et les Perses Sassanides, le prince de Palmyre décida de se ranger du côté de Gallien, empereur de l’Empire romain depuis l’an 259 (ou 260). En contrepartie, Odenath disposa d’un plus grand pouvoir sur les provinces orientales et porta dorénavant le titre de Dux Romanorum, c’est-à-dire « commandeur des Romains ». Avoir vaincu les Perses et Macrien[2] permit à Odenath d’obtenir le commandement de ce qui restait alors des onze légions romaines en Orient. Il jouit également d’une place désormais importante dans la gestion de l’administration civile et fiscale de l’Asie Mineure, de la Syrie, de la Mésopotamie et de l’Arabie Pétrée.
Après de multiples affrontements avec les Perses en 266, Odenath, qui se faisait appeler « roi des rois », fut assassiné en 267 ainsi que son fils, Herodes. Par qui ? Nul ne le sait. Ce qui n’empêche pourtant pas les historiens de suggérer qu’il s’agit là d’un assassinat commandité par l’empereur Gallien, gêné par les trop grandes ambitions du prince, ou encore par son épouse, qui n’est autre que Zénobie elle-même…
A dix-huit ans, Zénobie épousa en effet Odenath, homme de quarante ans déjà père. Mais à la mort de son mari, c’est le fruit de leur propre union, Whaballath, qui hérita de ses titres. Ce dernier étant cependant encore bien jeune, ce sera sa mère qui prendra les rênes de Palmyre. Il semblerait que cette décision fut aisément acceptée auprès des fidèles de son feu époux. Peut-être était-elle déjà présente dans la sphère politique à l’heure où Odenath régnait encore? La lecture de l’Histoire Auguste semble appuyer cette idée : « Odénath prit le titre de roi et accompagné de sa femme Zénobie, de son fils aîné Hérodès et de ses plus jeunes fils Herennianus et Timolaus, il se lança contre les Perses » (Histoire Auguste, Trente Tyrans, Odénath, XV, 2).

Zénobie, une reine peu commune
Qui est cette femme qui, dans un monde dominé par les ambitions masculines, fit briller la Cité des Palmiers ? Qui donc est cette reine dont la vie, devenue mythe, accapara l’esprit de nombreux historiens ? Enfin, qui est cette souveraine qui s’attribua le titre d’impératrice et que l’on surnomma « perle du désert » ?
D’origine égyptienne, la mère de Zénobie serait morte en la mettant au monde. Son père, Amr, était chef caravanier avant d’être choisi par les Romains pour devenir sénateur de Palmyre. Quant à Zénobie elle-même, les quelques témoignages contemporains nous permettent de brosser un portrait d’elle (si tenté que les auteurs n’aient pas été influencés et donc dénués d’objectivité). Mais que nous révèlent donc ces témoignages ?

Alors que son époux est décrit comme un grand chasseur, « capturant lions, léopards, ours et autres animaux des forêts », il est dit qu’il arrivait fréquemment à Zénobie de faire à pied trois ou quatre mille kilomètres avec les troupes. Sans doute détachée des convenances, la reine entreprenait par ailleurs des activités qui, de coutume, étaient loin de seoir à son sexe, telles que l’équitation, la chasse, notamment à l’ours, au tigre et au lion, et la buvette en compagnie de ses généraux. Face à l’adversité, la reine n’hésitait pas non plus à supprimer ceux qui avaient l’audace de lui tenir tête, comme l’atteste ce témoignage: “A ce moment-là, Zénobie la Saracène, femme d’Enathus, voulant venger la mort de son mari, réunit ses fidèles et envahit l’Arabie, qui était tenue par les Romains. Elle fit exécuter le gouverneur Trassus et toutes les forces qui étaient avec lui.” (Jean Malalas, Chronique, XII,3-10). De son côté, Pétrarque, dans Le Triomphe de la renommée, dressa une liste des héros de guerre parmi lesquels figurait la reine de Palmyre. Selon la légende, Zénobie aurait, en effet, combattu sur le champ de bataille auprès de son mari. Une guerrière donc.
Oui, mais elle était bien plus que cela ; la reine de Palmyre était également considérée comme la plus noble de toutes les femmes d’Orient et la plus belle. En effet, l’auteur anonyme de l’Histoire Auguste[3] ne tarie pas d’éloges sur sa personne. Voyez-plutôt : « Elle était généreuse, mais sans profusion, et ménagère de ses trésors, plus qu’on ne l’attendrait d’une femme. Ses mœurs étaient sévères. Telle était la chasteté de cette femme, qu’elle n’admettait auprès d’elle son mari que pour propager sa famille (…). Elle vivait avec un fast royal, se faisait adorer à la manière des rois de Perse, qu’elle imitait aussi dans ses repas. Elle haranguait les troupes comme les empereurs romains, le casque en tête, revêtue d’un manteau bordé de pourpre, dont le bas était enrichi de pierreries, et dont les deux côtés étaient réunis sur la poitrine par une pierre précieuse qui servait d’agrafe. On trouvait en elle, suivant l’occasion, la sévérité des tyrans ou la clémence des bons princes. (…) Elle n’était point sans connaître le latin ; mais une sorte de timidité l’empêchait de le parler : elle s’exprimait en égyptien d’une manière parfaite, et elle savait parfaitement l’histoire d’Alexandrie, de l’Occident et de l’Orient, et s’entourait d’hommes éclairés (…). » Sportive, audacieuse, cultivée, chaste, radieuse et richement vêtue… La perle du désert serait-elle à la fois Vénus et Minerve ?[4]

Et son physique alors ? Possédait-elle le charme et la sensualité orientales ? D’après les témoignages, Zénobie avait le visage basané et des yeux noirs qui nous laissaient entrevoir un esprit vif. Ses dents, d’une grande blancheur, contrastaient avec son teint foncé et furent par beaucoup comparées à des perles. Au regard de ces élogieuses descriptions, Zénobie aurait donc été d’une beauté saisissante. Pourtant, comment accorder crédit à de tels propos sans avoir aucun visuel d’elle ? La statue la représentant sur le fût d’une colonne disparut et les quelques monnaies de bronze frappées à son effigie, à Antioche et à Alexandrie en 272, ne nous montrent qu’un seul de ses profils. De plus, sa coiffure crantée, attachée en chignon au niveau de la nuque et surmontée d’un diadème, ne nous permet pas de la différencier des autres impératrices également présentées sur des pièces de monnaie.

Mais oui, je vous le concède, il est aisé d’accorder la beauté et le charme à une reine dont la renommée traversa les siècles. Cela fait partie du fantasme.
Des ambitions à la hauteur de sa beauté
La reine de Palmyre s’entoura d’intellectuels dont les conseils avisés, pense-t-elle, lui permettraient d’étendre son pouvoir. Vers l’an 266, Zénobie invita donc le philosophe Caius Cassius Longinus à rejoindre sa cour, notamment pour lui enseigner la littérature grecque. C’est que cet homme, qui fut l’un des précepteurs de l’empereur Marc-Aurèle (la classe !), enseignait la rhétorique et la philosophie. Son surnom de « Bibliothèque vivante » était de toute évidence gage de son érudition. Aux côtés de la reine, peut également être cité Paul de Samosate : ce dernier, évêque d’Antioche désigné comme hérétique par le concile de 268 pour avoir nié la divinité de Jésus, fut soutenu et protégé par Palmyre sous le sceptre de Zénobie. Peut-être partageaient-ils les mêmes convictions religieuses. Nul ne le sait réellement. Nul ne sait non plus dans quelles mesures ces deux hommes l’influencèrent dans ses choix politiques. La présence d’une cour d’intellectuels auprès d’elle n’est d’ailleurs pas prouvée tant les sources sont manquantes. Nous pouvons toutefois supposer qu’elle n’était pas seule à vouloir agrandir le pouvoir palmyrénien.
Qu’elle eût été seule ou bien entourée, la perle du désert était déterminée et projetait d’étendre le territoire sur lequel elle avait autorité.

Profitant de l’anarchie régnante dans l’Empire romain qui luttait contre la pression barbare et les discordances internes, Zénobie mit un terme à son alliance avec Rome. Enfonçant le clou, l’intrépide alla jusqu’à prendre les Perses pour nouveaux alliés. Et comme si cela ne suffisait pas, elle s’octroya le titre d’impératrice en 271 et s’empara de l’Egypte et d’une partie de l’Asie Mineure. Rappelons-le, l’Egypte représentait alors une province romaine fournissant quatre mois de ravitaillement en blé dont Rome avait grand besoin. C’en était trop pour les Romains ! Débarrassé partiellement des tentatives d’invasions étrangères sur le Danube, Aurélien, proclamé empereur en 270 après que Claude II ait été emporté par la peste, songea enfin à attaquer. Il est vrai qu’il ait pu également être irrité par la demande de Zénobie de placer son fils à ses côtés pour que l’empereur et lui gouvernent ensemble. Et puis, avoir frappé des pièces de monnaie à son effigie, honneur réservé exclusivement à l’empereur, avait sans doute de quoi exacerber encore davantage le courroux romain.
Aurélien lança deux campagnes, l’une en 272 et l’autre en 273. Alors même que des troupes romaines partaient à la reconquête de l’Egypte, l’empereur ouvrit un front par le nord et frappa la capitale palmyrénienne, dépourvue de forteresse. Les rêves de Palmyre furent ainsi brisés ; la cité fut mise à sac et sa reine, retrouvée fuyante près de l’Euphrate, fut faite prisonnière. Désormais reine-impératrice déchue, Zénobie prit la route de Rome…

Le glorieux triomphe de l’empereur
L’Histoire Auguste décrit la marche triomphale de l’empereur à son retour à Rome en 274 : il y avait trois chars, dont l’un aurait été réalisé à la demande de Zénobie qui imaginait découvrir librement Rome sur celui-ci. Mais le sort en avait décidé autrement: c’est en captive qu’elle découvrit, sur ce même char, le coeur de l’empire. Parmi les prisonniers de l’empereur, pouvaient être comptés, entre autres, de nombreux barbares et des Égyptiens qui avaient soutenu Palmyre contre Rome. Un nombre considérable d’animaux défilait à leurs côtés tels que des éléphants, des fauves de Lybie, des tigres et des girafes. Huit cents paires de gladiateurs participaient également au triomphe. Ainsi tout avait été mis en œuvre pour glorifier l’empereur et saluer ses victoires. Maître de l’Occident et de l’Orient, Aurélien avait lutté sur tous les fronts et préservé l’unité de l’empire. Il apparaissait alors naturel que ses adversaires dussent être châtiés. Et quoi de pire qu’une humiliation pour une reine qui se voulait impératrice ? Enchaînée par des chaînes d’or, soutenues par un bouffon perse tant elles étaient lourdes, la prisonnière clôturait le triomphe. Vous savez, comme le feu d’artifice qui achève un spectacle. La cerise sur le gâteau quoi.

Mais alors quel sort réserver à la reine captive? Curieusement, l’empereur s’opposa à son exécution, sans doute afin de la faire figurer, en guise de trophée, dans son glorieux défilé.
Ainsi, celle qui donna du fil à retordre à Rome et qui se vanta d’être descendante de Cléopâtre fut finalement capturée. Après avoir rêvé d’étendre son pouvoir au-delà des frontières qui lui avaient été confiées à la mort de son époux, la voilà prisonnière de Rome. Ayant combattu vaillamment pour défendre ses droits et ses ambitions, se tenant aux côtés de ses officiers et buvant avec eux, la perle du désert était à la fois belle et courageuse, chaste et audacieuse, sensuelle et virile. Dans un monde où les hommes faisaient loi, Zénobie pouvait s’enorgueillir d’avoir donné à Palmyre la prospérité qui hissa cette cité sur le devant de la scène, avant de tomber soudainement et malencontreusement dans l’ombre…
Sources :
Annie Sartre, Maurice Sartre, Zénobie ; de Palmyre à Rome, Editions Perrin, 2014, p360.
Encyclopaedia Universalis, Corpus 17, Paris, 1990.
Gilbert Sinoué, 12 femmes d’Orient qui ont changé l’Histoire, Pygmalion, 2011, p313.
Marina Grégoire, Les Grandes Civilisations; Proche-Orient, Artoria, p152.
[1] L’empire des Parthes est une importante puissance politique et culturelle de la Perse antique.
[2] Avant l’avènement de l’empereur Dioclétien, une trentaine de généraux, dont Macrien s’étaient en effet autoproclamés empereurs. Cette période est inscrite dans l’Histoire comme la période des « Trente usurpateurs ».
[3] Il s’agit d’un recueil de biographies d’empereurs romains et d’usurpateurs des IIe siècle et IIIe siècle, rédigé en latin. Son apport historique est cependant remis en question, ainsi que l’identité de ses auteurs.
[4] Merci à Gilbert Sinoué et son ouvrage 12 femmes d’Orient qui ont changé l’Histoire dont provient cette flatteuse comparaison.
Bonjour.
Dans votre sous-titre, ne faudrait-il pas écrire plutôt : « et la saveur des daTTes » ?…
Absolument ! Merci de me l’avoir fait remarqué 🙂