Tavernier, une bière ! J’ai grand soif !

*** Contribution extérieure***

Un rayon de soleil et hop, je me rue vers la première terrasse que j’aperçois. Un café ? Non, trop fort. Un thé ? Non trop chaud. Donnez-moi ce que vous avez de plus rafraîchissant, chef ! Une bière ? La solution idéale. J’attends avec impatience mon breuvage et profite au maximum de cette chaleur de l’hiver. Ah la voilà ! Fraîche et pourtant si réjouissante. Dans sa robe à bulle, elle me fait de l’œil et m’invite à la savourer. Comment résister ? Délicatement, je trempe mes lèvres dans sa mousse onctueuse et tiens, voilà que je suis heureuse.
A vous maintenant, parez-vous de cette boisson aux belles promesses et le temps d’une bière, laissez-moi vous conter son histoire !

(Nous ne cesserons de le répéter, la bière est un alcool et comme tout alcool, elle doit être consommée avec modération !)

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Pieter Claesz, Nature morte au verre de bière, 1644, Grand Palais/ Gérard Blot ©RMN

La bière est la boisson de céréale alcoolisée la plus populaire à travers le monde. Présente sur tous les continents, 1 boisson alcoolisée sur 3 vendues est de la bière. Et pourtant, elle reste très méconnue et peu de gens sont capables de vous en parler. Bientôt, vous ferez partie de cette élite !

Partons d’abord pour l’ère préhistorique où la bière trouve toute son origine. Sa naissance reste mystérieuse et de nombreuses versions témoignent de ses débuts. Les chasseurs-cueilleurs utilisaient déjà par hasard la technique de la fermentation lorsqu’ils laissaient leurs viandes maturer plusieurs jours afin de la rendre plus digeste. L’histoire veut alors qu’un de nos ancêtres ait préparé une bouillie avec des grains de céréales germés et l’aurait oublié au fond de sa hutte. En la goûtant quelques jours plus tard, la bouillie était devenue acide et avait produit de l’alcool. Grâce aux céréales, il était alors possible de produire des boissons qui faisaient tourner la tête tout au long de l’année. Riche en vitamine, cette bouillie était considérée comme un aliment nutritif. Son ancienneté remonte si loin que les archéologues se sont posé la question de savoir qui de l’agriculture ou de la bière était née en premier. Des récipients ayant contenu des boissons fermentées à base de céréales ont été récemment découverts sur le site de Göbekli Tepe, en Anatolie. Vieille de 11 600 ans, cette découverte permet de penser que la bière est antérieure à l’agriculture ! La bière est donc, après l’eau, la première boisson fermentée  de l’humanité!
L’archéologue Patrick McGovern, spécialiste des alcools anciens, va même plus loin et affirme que “l’alcool est le moteur social de la révolution néolithique (…).  Selon cette interprétation, c’est bien la bière qui serait à l’origine de notre civilisation agricole et sédentaire.”
Les sumériens, vers 4000 av. J-C. nous ont sûrement apporté les premières traces écrites de la bière sur des tablettes d’argile. Il est question d’une boisson fermentée d’orge, d’épeautre, de blé et de millet.

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Bloc figurant Ptolémée III faisant l’offrande de la bière à la déesse Mout, Médamoud, Egypte, ©Gallica

Vient alors l’ère égyptienne. Cléopâtre utilisait-elle ce breuvage pour attirer ses nombreuses conquêtes ?  Aucune preuve d’un tel subterfuge mais la bière avait déjà toute son importance. Elle était même plus populaire que l’eau qui était porteuse de maladies. “Henequet”, la bière du quotidien, était conseillée pour ses qualités nutritives et pouvait même guérir certains maux.  De nombreux tombeaux, qui rappelent alors les scènes du quotidien des Egyptiens, relatent toutes les étapes du brassage à l’époque de l’Ancien Empire égyptien. Des jarres de bières partent avec les défunts dans l’autre monde et des hiéroglyphes ainsi que des papyrus nous apprennent le travail des artisans, la quantité de bière consommée dans chaque strate et les ingrédients utilisés. Il y avait même des grandes maisons de bière, connues pour la qualité ou le goût de leur boisson. Ces maisons étaient tenues pour la plupart par des femmes réputées. L’ouvrier considérait la bière comme un salaire et avait le droit, au même titre que le pain, à 4 litres par jour. Les pyramides de Kheops auraient alors coûté plusieurs milliards de litres de bière ! La bière devient même un objet de culte puisque c’est grâce à elle que le dieu Rê a enivré Sekhmet, la déesse à tête de lion et l’a détournée de son projet de détruire l’humanité. Ou encore le culte d’Osiris qui trouvait de nombreux adeptes ! C’est elle-même qui nous a enseigné la science de la bière. La dépravation ? Les Égyptiens en ont donné la définition même ! L’acte de vomir était signe d’abondance et de prospérité. Oui, une tout autre époque…

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Modèle de scène de brasserie de bière, Egypte ancienne, Musée du Louvre, Paris, ©RMN

En -3500, dans la péninsule ibérique, les archéologues ont découvert les premières traces de bière en Europe. Le houblon n’était alors pas encore utilisé mais était remplacé par toutes sortes de plantes comme l’armoise ou la jusquiame. Le houblon est une plante très peu connue. Il n’est présent qu’à moins de 1% dans la bière. Oui oui, la bière est composée à 90% d’eau. Le houblon se présente comme une liane herbacée qui s’enroule sur les arbres voisins. Son rôle principal est d’éviter le développement des microbes. Rome se considérait trop belle et trop pure pour s’abaisser à un tel breuvage. Seuls les barbares pouvaient s’intéresser à cette boisson corrompue. Les Romains, comme on s’en souvient dans Astérix et Obélix, préféraient de loin le vin ! Et pourtant, la bière résiste encore et toujours à l’envahisseur. Pline l’Ancien se rebelle au 1er siècle après J.-C. et décrit toutes les formes de cervoises rencontrées. Les grandes installations agricoles gardent des lieux pour le maltage et le brassage. Les nombreuses migrations dans toute l’Europe amènent avec eux de nouveaux goûts et de nouvelles idées. Des textes avouent même que les légions romaines commençaient à avoir un petit coup de cœur pour la bière. Comme quoi la guerre entre la bière et le vin n’est pas toute neuve.

Nous continuons dans l’histoire et nous arrivons aux temps des châteaux-forts. La cervoise perd alors de sa popularité et la bière houblonnée fait son apparition et gagne en mérite grâce à sa bonne conservation. Les termes “bier” ou “beer”, du latin bibere (boire) se sont développés au fil des ans pour finalement donner “Bière”, la fameuse boisson amère et houblonnée.

Les agriculteurs se lancent dans la production du malt, c’est-à-dire une céréale obtenue après le maltage, et commencent à commercialiser la bière. Cependant, des acteurs auxquels nous n’aurions pas pensé, jouent aussi un rôle essentiel dans la propagation de la bière. Et j’ai nommé les moines ! Les monastères sont en effet au centre d’échanges commerciaux et culturels et tirent de la bière leurs principaux revenus.
La fermentation basse donne des bières plus douces en alcool, les “lager” et la fermentation haute donnent surtout des bières fortes, entre 6 et 12 degrés, les “ale”.
Au XIIe siècle, Paris regorge d’une trentaine de cervoisiers recensés, avec toujours à la tête, des femmes, souvent veuves mais aussi des étrangers venus de Grande-Bretagne, des Flandres et des pays germaniques. La bière devient ainsi une histoire sérieuse et entre le XIIe et le XVIIe siècles, la durée d’apprentissage obligatoire passe de 1 an à 5 ans. A la fin, comme à Top chef, le candidat doit présenter une nouvelle élaboration de bière devant des maîtres brasseurs. “Le meilleur brasseur”, ça aurait fait fureur à l’époque !

Bien plus tard, la révolution industrielle apportera deux inventions phares, le thermomètre et l’hydromètre qui sert à mesurer la densité, la pression des liquides. Ces deux instruments permettront de brasser à très grande échelle et ainsi faire évoluer la qualité de la bière. A titre d’exemple, Guinness, considéré en 1886 comme la plus grande brasserie au monde, produit plus de 186 millions de litres par an.
Louis Pasteur a aussi son mot à dire. A la demande des brasseurs du Nord de la France, il commence à étudier la bière. Il y découvre alors des micro-organismes vivants déguisés en levures sauvages ou en bactéries. Ces minuscules êtres vivants sont responsables de l’altération du goût. La pasteurisation (chauffer très fort pour stériliser et supprimer les risques d’infections) a permis de tuer ces bactéries au détriment du goût. La qualité de la bière était alors assurée grâce à cette nouvelle découverte.

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Barry (Lithographe), Linder (Peinture du modèle), La bière en Allemagne, Paris, Bulla frères Editeurs, ©Gallica

Enfin, bienvenue au XX siècle, le siècle de la mondialisation où tout s’accélère. Grâce aux Etudes sur la bière de Pasteur en 1876, la bière devient un produit de grande consommation et se retrouve aux quatre coins du monde.  Les pratiques traditionnelles des petites brasseries sont de moins en moins reconnues. La Seconde Guerre Mondiale et l’interdiction par le gouvernement de faire des bières à plus de 2% d’alcool, ont entraîné la mort d’à peu près 900 brasseries. En France, les brasseries sont passées de 400 en 1940 à 23 en 1976. Aujourd’hui dans le monde, une bière sur 4 est Chinoise et la marque la plus vendue, “Snow” est aussi chinoise. Les plus gros buveurs de bière sont, non sans surprise, nos voisins tchèques avec plus de 148 litres de bière par an et par personne. Français, avec tes 32 litres par an, tu peux aller te cacher sous ton béret.

Alors j’ai beaucoup écrit, utilisé plein de notions un peu floues et laissé mon verre à moitié plein mais avant de boire mes dernières gorgées, j’aimerais encore vous parler de brassage, du houblon, de chope et même de Michael Jackson. Je vais aller vite, j’ai grand soif, tavernier !

La technique de brassage est restée la même et s’étale sur plusieurs semaines. Tout d’abord, après avoir recueilli le malt, celui-ci commence par l’étape du concassage. Il passe à travers des rouleaux mécaniques pour devenir de petits morceaux. Lors de l’empâtage, le malt est mélangé à de l’eau et devient de la “maische”. On le fait bouillir à 67 degrés pendant une heure environ. Cette action permet aux enzymes retenues dans le malt de transformer l’amidon, un sucre complexe en un sucre simple. Le rinçage permet d’extraire les derniers sucres et ensuite l’ébullition mélange le moût et le houblon pour apporter de l’amertume. Le refroidissement empêche toute contamination et la fermentation qui se déroulera sur quelques jours, formera de l’alcool après que les levures injectées dans le moût consommeront les sucres simples et produiront des gaz carboniques. Enfin, le houblonnage à froid est la touche finale pour extraire les arômes les plus fins grâce à un rajout de houblon. Quelques semaines plus tard, la bière est mise en bouteille et est prête à la dégustation !

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Horemans Peter Jacob – Intérieur de cuisine avec une buveuse de bière (18ème siècle) – Galerie d’État dans le nouveau palais de Bayreuth, Allemagne © RMN

Mais quand on dit en bouteille, quel est le meilleur moyen pour profiter de sa bière ? C’est pourtant un non-catégorique à la chope qui avec ses parois horizontales provoque un rapide « dégazage ». Adieu aussi aux gobelets des festivals qui rendent les bulles grossières et donnent à la bière un goût fade. Prenez donc un vrai verre à bière et n’oubliez pas de bien incliner le verre en versant la bière tout en le redressant progressivement. La couronne de mousse concentrera alors l’essentiel des saveurs !

Enfin, avant de vous laisser, j’aimerais vous parler de Michael Jackson. Non non, pas celui au gant blanc et à la voix envoûtante. Je vous parle d’un autre Michael Jackson (1942-2007), connu pour être une très grande plume du monde brassicole. Du côté des brasseries indépendantes, il s’est longtemps battu pour faire accepter la bière et rappeler à quel point celle-ci est pleine de surprises.
Oui, la bière n’a pas fini de nous surprendre !

Brasserie Greff, Bière Divette
Brasserie Greff, Bière Divette, Marcellin Auzolle, 1929, ©Gallica

Pssst, en cadeau une recette de crêpes à la bière !
Pour 1 litre de pâte :
– 75 cl de lait,
– 25 cl de bière,
– 5 œufs,
– 500g de farine
– Une pincée de sel.

Mélangez le lait, la bière et les œufs au fouet. Ajoutez progressivement la farine, en battant vigoureusement. Salez. Laissez reposer pendant 1h.
Incorporer de la bière rend la pâte plus légère et plus digeste. Choisissez un style affirmé, amer. Vous pourrez même servir ces crêpes aux enfants : l’alcool s’évapore au cours de la cuisson.

Je n’ai plus qu’une chose à dire : “Une femme, c’est comme une bière, Bart. Tu la trouves belle, elle sent bon et tu passerais sur le corps de ta propre mère pour en avoir une.” (Homer Simpson)

Sources :

Aubert, Guirec, and Yannis Varoutsikos. La bière c’est pas sorcier. Vanves: Marabout, 2017.

Delos, Gilbert. Bières: le guide ultime. Malakoff: Dunod, 2017.

Pierre, Élisabeth. La petite encyclopédie de la bière, 2019.

 

 

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