
*** Contribution extérieure***
Voilà que vous venez encore de croiser une élégante personne dans la rue. Vous avez à peine le temps de vous retourner qu’elle s’est déjà évanouie dans une bourrasque de vent. Même si vous n’avez pas eu le temps d’admirer son visage, le chapeau qui cachait son sourire ne sort pas de votre mémoire. Qui à part elle pouvait porter cette jolie capeline noire ? Il vous vient alors l’idée d’acheter la même. Mais oseriez-vous vous couvrir la tête d’un tel accoutrement ? Vous le savez, le chapeau féminin n’est pas nouveau et aujourd’hui, vous avez décidé de vous renseigner dessus avant d’en faire l’acquisition. Qu’il soit un simple bob assez laid ou un canotier des plus ensoleillés, le chapeau a, comme toute chose, son histoire et celle-ci est liée à la mode française.

Tout d’abord, quelques précisions étymologiques pour briller en société : Le mot « chapeau » vient de l’ancien français « chapel » qui lui-même vient du latin « Caput », la tête. Richelet, en 1680, dans sa première édition de son Dictionnaire français, parlera du chapeau comme une « couverture de tête dont l’homme se sert durant le jour et qui est composée de deux parties, dont l’une s’appelle forme et l’autre bord ».
Mais d’où vient alors l’idée saugrenue de se mettre une coiffe sur notre tête ? Les hommes préhistoriques, même si aucun ne s’est amusé à dessiner une capeline dans une grotte, se protégeaient sûrement du soleil en se couvrant la tête avec des feuilles. L’Antiquité s’est ainsi dotée de la Tholia qui, d’après les figurines de Tanagra du IVème siècle avec J.-C., était un chapeau de paille rond avec des bords larges et relevé en pointe en son centre. Ne serait-ce pas d’ailleurs l’ancêtre des chapeaux de sorcières ? Nos sources nous laissent sur notre faim sans donner de réelle origine aux chapeaux magiques…
Au Moyen Âge, le chapeau se développe petit à petit. Cependant, il n’était qu’un accessoire essentiellement masculin. Les femmes préféraient se cacher derrière des voiles ou foulards répondant alors aux mœurs strictes de l’époque. Celle qui osait le porter était alors vue comme une « frivole ». Seuls les chapeaux de voyage ou ceux pour aller à la chasse étaient à peu près autorisés pour la gent féminine mais avec pour seul but de se protéger des intempéries.
Entre les XVI et XVIIIème siècles, elles s’approprient le chapeau et se pavanent à la cour avec des créations de leurs marchandes de modes. Le siècle suivant suit la mode et le chapeau devient une coiffure féminine presque indispensable. Celle qui aura la coiffe la plus fantaisiste, tout en suivant les saisons, sera celle dont on parlera le plus et sera remarquée par toutes les personnes influentes de la mode de l’époque.
Mais c’est vraiment au XXème siècle que le chapeau féminin acquiert un tout autre statut. Il n’est plus utilisé que pour se protéger d’un quelconque désagrément mais devient bel et bien la marque d’une classe sociale. Porter le chapeau élève tout de suite la femme au rang de la bourgeoisie, se distinguant des ouvrières qui osent sortir dans la rue la tête découverte. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, il est impensable de sortir sans son chapeau. Les modistes, artisans du chapeau, sont alors pris d’assaut dans toutes les grandes villes et doivent répondre à une forte demande. Le besoin de se distinguer des autres grâce à sa coiffe est un défi quotidien dans la vie d’une bourgeoise française du début du vingtième.

Les années 20 verront ainsi l’apparition du chapeau cloche, de la capeline et de la toque afin de répondre à la mode de l’époque. Dix ans plus tard, le chapeau se retrouve enfin sur toutes les têtes. Il en existe un pour tous les évènements de la journée. Il devient un élément essentiel de l’esthétique féminine. Garni près du visage, drapé en verticale ou encore ailé, le chapeau s’essaye à toutes les formes et ça lui va plutôt bien.
Après une période creuse pendant la Seconde Guerre mondiale, la fin des atrocités pousse les Françaises à favoriser le raffinement et la richesse. Les chapeaux s’accordent avec la tenue et la finesse s’empare des toilettes féminines. Le film Les Demoiselles de Rochefort en 1967, où Françoise Dorléac et Catherine Deneuve sont toutes les deux coiffées de capelines assorties, permet à ce chapeau de devenir une référence des femmes élégantes.

Aujourd’hui, le chapeau ayant peu à peu disparu de notre garde-robe, il est devenu bien compliqué, voire impossible, de porter un chapeau affriolant dans la rue sans se faire appeler Tata Yoyo. Accessoire de mode qui se retrouve principalement dans les magazines et sur des mannequins, il est alors porté lors d’occasions spéciales ou ramener à sa fonction première, se protéger des éléments.

Après ce petit voyage dans le temps, revenons rapidement sur le mot sur lequel vous avez buté : modiste. Chouette, un mot de plus à rajouter à notre vocabulaire. Lié au formier qui est l’artisan sculptant sur des blocs de tilleul les différentes formes de chapeau, la modiste (généralement des femmes) prend son origine à partir de la Révolution française remplaçant les bonnetiers du XVème siècle. Le métier se dote alors d’une forte notoriété et peut ainsi répondre à une demande de plus en plus forte. La modiste devait savoir interpréter la volonté de sa cliente tout en y rajoutant sa touche personnelle. Coco Chanel (1883- 1971) débuta d’ailleurs comme modiste avant de devenir une des figures de la haute couture. Dans ses collections futures, elle portera une attention toute particulière aux chapeaux qui rendaient ses créations inhabituelles. Ils étaient, comme le fait remarquer Colin McDowell dans Le chapeau et la mode : fascination, charme, rang et style : des origines à nos jours, « comme un point d’exclamation, une « folie » qui couronnait un look et donnait matière à discussion. ». Avant elle, début du XXème siècle, Camille Reboux, surnommée pendant plus de 50 ans « la reine des modistes », a fait du chapeau un accessoire indispensable de la mode féminine tout en l’élevant au rang d’œuvre d’art. Le Musée de la Mode et du Textile de Paris rassemble d’ailleurs plus de 300 créations de Caroline Rebout.
Le chapeau féminin se décline donc à l’infini, allant du canotier au fédora, du panama au borsalino. Il est la marque d’une élégance et d’une classe sociale assez aisée. Evoluant au fil des siècles, il a connu son âge d’or au XXème siècle grâce aux modistes et à leur imagination. Aujourd’hui, il est de plus en plus dur à porter et se trouve plus volontiers sur des têtes en vogue. Mais mesdames, n’ayez pas honte de le ressortir de l’armoire de votre grand-mère et arborez-le fièrement dans la rue. Messieurs, à vous de les complimenter pour leur courage et leur élégance.
Marie-Belle Pargeshian