Diogène ou le philosophe qui voulait vivre comme un chien

Je vous propose aujourd’hui de découvrir un philosophe grec qui ne passait pas inaperçu. Il s’agit de Diogène, un homme des plus étranges dont la postérité retiendra son caractère cynique, dépravé et provocateur.

Diogène naît en 413 avant Jésus-Christ, à Sinope, et décède dans la ville de Corinthe en -327. Son père étant accusé de fabriquer de la fausse monnaie à Sinope, il n’a d’autres choix que de quitter sa ville natale. Il rejoint alors Athènes, où il grandit et devient l’élève d’Antisthène, un philosophe partisan de la pensée cynique (pensée dont il deviendra lui-même représentant). Il suit en effet ses cours au gymnase des bâtards, le Cynosarges, et retient de son enseignement la simplicité et l’autosuffisance dont il faut faire preuve dans la vie. Une anecdote nous raconte par exemple que Diogène, réclamant une tunique, reçoit pour réponse de son maître « de plier son manteau en deux ». Solution rapide et économe. Astucieux n’est-ce pas ?

On ne sait finalement que peu de choses sur sa vie, si ce n’est qu’il aimait uriner et se toucher les parties intimes en public, démontrant ainsi l’inutilité des règles sociales dont il souhaitait faire abstraction. Il lui arrivait également parfois de marcher dans la rue la journée, lanterne à la main, éclairant de sa lumière le visage des passants en criant qu’il cherchait un vrai Homme, sous-entendant par-là que les gens qui se tenaient devant lui n’en étaient pas.

 

Jules Bastien-Lepage, Diogène, 1873

Diogène est décidemment une personnalité atypique, dont plusieurs anecdotes étayent le caractère singulier…

John William Waterhouse, Diogène, 1882, Galerie d’art de Nouvelle-Galles du Sud, Sydney

Conformément à la philosophe cynique, selon laquelle il importe de se contenter du minimum (autrement dit, d’avoir absolument zéro confort), Diogène choisit pour lieu d’habitation une grande jarre qu’il avait installée à l’horizontal.

Imaginez donc un homme, pieds nus et ayant pour seuls biens un bâton et une lanterne, vivant dans une sorte de tonneau au beau milieu de la rue. Drôle de vision que celle-ci, nous donnant à voir le philosophe comme un être dont la vie se rapproche plus ou moins de celle d’un chien. Petit détail qui n’est pas anodin, puisque l’école philosophique de « cynisme » tire son nom de « kuôn », qui signifie « chien » en grec ancien.

Diogène VS Platon

Les interventions philosophiques de Diogène n’en demeurent pas moins poignantes. Ainsi en témoigne une anecdote opposant ce philosophe à Platon. La légende raconte que Platon, qui cherchait la définition de l’Homme, l’aurait décrit comme un « bipède sans cornes et sans plumes ». Autrement dit, l’Homme est un être vivant se tenant debout. L’auditoire aurait été impressionnée par cette affirmation, sonnant somme toute juste à leurs oreilles, si Diogène n’avait pas mis son grain de sel : face à cette risible réponse à la question de la nature de l’Homme, Diogène présente au public un coq déplumé (donc un animal sans plumes se tenant sur ses deux pattes) en leur disant « Voilà l’Homme selon Platon ». Et c’est ainsi que le philosophe humilia Platon avec un coq. Sale histoire…

Diogène VS Alexandre le Grand

Une dernière anecdote, racontée notamment par Plutarque, Cicéron ou encore Diogène Laërce, nous montre le caractère audacieux de ce philosophe cynique : pour rappel, cet homme a vécu au IVe siècle avant notre ère et, de fait, est contemporain d’Alexandre le Grand. Un beau jour de l’an 336 av. J.C., alors en voyage dans la ville de Corinthe où séjournait également l’empereur, celui-ci alla à la rencontre du philosophe et lui dit gentiment : « Demande-moi ce que tu veux, je te le donnerai ». Ce à quoi Diogène répondit : « Ôte-toi de mon soleil ». Nul doute qu’Alexandre, alors l’homme le plus puissant de la Grèce antique, dût être abasourdi face à l’insolence de cet errant. Enfin, c’est ce que nous aurions pu penser si Dion Chrysostome ne nous avait pas dévoilé la suite de l’histoire, affirmant qu’Alexandre « fut aussitôt charmé de l’assurance tranquille du bonhomme qui n’était pas ébranlé par sa présence ». Cette histoire nous montre donc à quel point Diogène tente de mener une vie simple, en faisant abstraction des convenances et en abolissant les distinctions sociales.

Jacques Gamelin, Alexandre et Diogène, XVIIIe siècle, Musée des Beaux-Arts de Carcassonne

Finalement, Diogène, décrit par Platon comme un « Socrate devenu fou », correspond parfaitement à la définition d’un cynique. Un insolent et un provocateur qui aimait choquer ses concitoyens, qui devint esclave et qui fut affranchi, qui osa s’adresser à l’empereur comme à un moins que rien… On ne peut cependant nier la cohérence dont il a su faire preuve toute sa vie : fidèle à la pensée cynique, Diogène, qui assimilait sa vie à celle d’un chien, a toujours cherché à vivre simplement et à être auto-suffisant. L’ironie du sort voulu qu’il décède à l’âge de 86 ans, emporté par « la sauvage morsure d’un chien » selon une épigramme de Diogène Laërce.

Jordaens Jacob (1593-1678), Diogène, Musée du Louvre, ©RMN

Sources:

Barbara Cassin, « Diogène le cynique », Encyclopædia Universalis [en ligne]. URL : http://www.universalis-edu.com.janus.bis-sorbonne.fr/encyclopedie/diogene-le-cynique/

Isabelle Gugliermina, Diogène Laërce et le Cynisme, Presses Universitaires du Septentrion, 2006.

Jean-Manuel Roubineau, Diogène, Presses Universitaires de France, 2020.

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