Quand la mode s’inspire de l’Antiquité grecque : Zoom sur la collection Croisière Chanel 2017-2018

Crédit photo d’en-tête : Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel

Comme vous le savez probablement, le luxe est une thématique qui m’intéresse beaucoup, surtout lorsqu’il puise son inspiration dans l’art et l’histoire. Il en est ainsi pour la mode, qui pique ma curiosité lorsqu’elle présente des collections inspirées tout droit de l’Antiquité. La collection Croisière Chanel 2017-2018 illustre à merveille la référence à un temps lointain dans la réalisation et la présentation de ses créations.

Il faut dire aussi que je trouve cette collection absolument MAGNIFIQUE (dit avec l’accent de Cristina Córdula). J’avais donc envie de me pencher davantage sur ses sources d’inspiration.

Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel

Pour ce défilé, baptisé « La modernité de l’Antiquité », la Galerie Courbe du Grand Palais a été soigneusement redécorée pour l’occasion : ainsi défilent les mannequins dans un décor représentant les ruines d’un temple antique et comportant un olivier. Sur les côtés peuvent également être observées la mer et la montagne (en illusion bien sûr, le Grand Palais n’a pas changé à ce point). Un décor de rêve donc, qui rappelle l’atmosphère de l’Antiquité grecque que Karl Lagarfeld considère comme « l’origine de la beauté et de la culture ».

Nous voilà donc partis en Grèce antique, à partir de l’époque archaïque (800 à 500 av. J.-C.) puisque la mode aux époques antérieures différait fortement de l’image de la mode antique que nous avons aujourd’hui, notamment l’époque minoenne (2700 à 1200 av. J.-C) et ses jupes cloches.


Quelques exemples des vêtements de l’époque minoenne pour les plus curieux :

Il s’agit de moulages représentant une déesse aux serpents en faïence peinte (copies réalisées en 1910 à partir d’originaux datant de l’époque minoenne et conservés au musée archéologique d’Hérakleion), ©RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale) / Franck Raux.


Les vêtements de l’Antiquité grecque sont généralement confectionnés avec de la laine, du coton, ou encore du lin. L’emploi de la soie est également attesté suite à l’invasion des Perses durant les Guerres médiques. Contrairement aux couleurs des tenues du défilé, arborant des tonalités beiges, marrons, cuivrées et ornées de détails dorés, les vêtements antiques sont en réalité de couleurs vives, généralement au niveau des bords. C’est tout du moins le cas des Grecs les plus fortunés, tandis que la garde-robe des classes inférieures se résument souvent à un pagne (vêtement léger) ou un chiton blancs.

Force est cependant de constater que la télévision et le cinéma entretiennent le mythe des tenues antiques blanches, ou du moins aux tonalités claires. Il suffit de penser au blanc immaculé porté par l’égérie du parfum Olympéa de Paco Rabanne ou les somptueuses robes de Diane Kruger dans le film Troie pour nous en rendre compte. Cela est dû aux statues grecques de couleur blanche, qui représentent les seules vestiges qui nous soient parvenus de cette époque lointaine. Pourtant, nous savons aujourd’hui que ces oeuvres étaient à l’origine colorées. Une seconde raison à la représentation de vêtements blancs est l’idéal de beauté et de pureté si cher à la culture grecque à laquelle renvoie cette couleur.

Image présentant Hélène dans le film Troie, réalisé par Wolfgang Peterse, sorti en 2004 et inspiré du mythe raconté par Homère.

Nous savons donc que les vêtements antiques grecs arborent, contrairement à ce que l’on pense, des couleurs et des motifs. Autre point important à savoir : La façon de s’habiller dépend du statut social et de la fonction des membres de la société.

Les femmes de catégorie sociale supérieure portent souvent le chiton en guise de sous-vêtement. Il s’agit d’une simple tunique blanche réalisée à partir de deux larges tissus de forme carrée et souvent faits de laine ou de lin. Ces tissus, qui couvrent l’avant et l’arrière du corps, sont attachés et maintenus, ensemble, au niveau de l’épaule par des fibules et au niveau de la taille au moyen d’un cordon. Le chiton est porté autant par les hommes que par les femmes et les enfants. Une petite nuance doit cependant être faite : ce vêtement pour les hommes remonte jusqu’aux genoux, contrairement à celui des femmes qui tombe jusqu’aux pieds.

Pearson Scott Foresman, Femme portant un chiton
Statue de femme portant un chiton, datant de la période hellénistique (323 – 31 av. J.-C.) et réalisée en Crète
©The British Museum, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / The Trustees of the British Museum

Comme vous pouvez le voir sur la statue au-dessus, datant du IVe siècle avant notre ère, il n’est en outre pas étonnant que l’imaginaire collectif d’aujourd’hui conçoive parfois le vêtement grec comme attaché au niveau seulement d’une épaule, bien que la tenue dévoilant constamment une des deux épaules n’est autre que l’exomide, une tenue utilisée généralement par les hommes (notamment les guerriers) et dédiée au travail pour la liberté de mouvement qu’elle procure. Nous sommes donc loin des épaules dénudées des femmes aristocrates grecques…

Le port du vêtement sur l’épaule par bon nombre de mannequins du défilé Chanel n’en demeure pas moins une référence à la mode grecque antique.

Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel
Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel
Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel

Par dessus le chiton, et parfois à sa place, l’aristocrate grecque porte généralement un peplos. Ce vêtement est un gros morceau de tissu, souvent porté par les femmes, qui est plié en deux et descend jusqu’aux pieds. Les bras peuvent être couverts ou découverts, et l’ouverture du tissu sur le côté n’est souvent pas cousue. Une fente, laissant entrevoir une jambe, apparaît ainsi parfois sur un côté.

Il importe en outre de souligner que le peplos fait l’objet d’un rituel sacré au Ve siècle avant notre ère : chaque année a lieu, au mois de juillet, une grande fête célébrant Athéna, déesse de la sagesse et de la stratégie militaire. Durant cette célébration, appelée Panathénées, un peplos est posé sur la statue en bois d’Athéna située dans l’Érechtheum, un temple qui lui est dédié sur le côté nord de l’Acropole.

Aportant un peplos (statue du Ve siècle av. J.-C.), Musée du Louvre
Une cariatide du temple Érechthéion (situé sur l’acropole d’Athène) portant un peplos

Tous les quatre ans cependant, l’ampleur du festival, qui prend alors le nom de Grande Panathénaée, devient plus importante. La réalisation du peplos dédié à Athéna représente alors un travail colossal. Réalisé par les Ergastines (jeunes filles athéniennes chargées de confectionner cette tenue), le vêtement est couvert de broderies, arbore des couleurs et représente une scène, telle une tapisserie : il s’agit du combat mythique d’Athéna contre les Géants. Ces Ergastines reçoivent une aide précieuse des femmes mariées pour pouvoir venir à bout de cette tunique tant sa fabrication est peu aisée. Le peplos, faisant office d’offrande à la déesse, devient ainsi une véritable oeuvre artistique, tant par la méticulosité de sa confection que par la richesse et la qualité de ses matériaux.

Pour revenir aux tenues de la femme grecque, il est possible de modifier sa taille en faisant remonter un surplus de tissu au-dessus de la ceinture (faite en cuir ou en tissu). Cet amas de tissu au niveau du ventre fait par ailleurs partie du costume grec tel qu’on le conçoit aujourd’hui. On le retrouve ainsi dans le défilé, souligné par un changement de tissu ou simplement réalisé avec une corde (voire plusieurs coutures).

Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel
Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel
Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel

La garde-robe de l’aristocrate grecque ne se résume cependant pas au chiton et au peplos. Nous pouvons également citer l’epiblema, qui correspond à un châle tissé et soigneusement décoré, montrant de fait la richesse de sa propriétaire. Porté par dessus le chiton ou le peplos par les hommes comme par les femmes, ce châle est utilisé pour se protéger du froid ou simplement porté en guise d’ornementation.

Tout comme l’homme grec, elle porte également l’himation. Il s’agit d’un vêtement d’extérieur, drapé et ample, souvent décoré, que l’on enroule sur un bras ou sur une épaule et que l’on fait passer par-dessous l’autre. L’himation, connu par les Romains sous le nom de pallium, est également fréquemment porté à la fin de la République romaine. Ce vêtement fait office de cape ou de manteau et protège du froid de par la laine avec laquelle il est réalisé.


Statuette d’une femme portant l’himation, datant probablement du IIIe s. av. J.-C. et découverte en Crète, Musée du Louvre,  ©RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec

Un autre élément qui caractérise la mode de cette période est bien entendu le drapé, qui correspond à la disposition du vêtement, généralement ample, donnant lieu à de nombreux plis. On retrouve ces tissus drapés sur bon nombre de statues et vases antiques représentant des dieux grecs ou encore des personnages de l’Antiquité gréco-romaine. Plusieurs des vêtements du défilé, conçus par Karl Lagarfeld, font incontestablement un clin d’œil à cette technique artistique.

Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel
Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel

Mais le drapé est loin d’être l’apanage de Chanel. Le monde de la mode ne manque pas de s’en inspirer, faisant ainsi écho à l’idéal de beauté grecque. En effet, on retrouve déjà cet art dans les créations de Madeleine Vionnet (1876-1975) qui se distingue notamment pour ce retour à l’antique.

Madeleine Vionnet, célèbre couturière française qui crée sa maison de couture en 1912 et dont le travail influence grandement la mode de son siècle, est à l’origine du drapé moderne. Fascinée par la Grèce antique dont elle observe fréquemment les oeuvres au musée du Louvre, elle s’appuie en effet sur ce phénomène de plis pour donner du mouvement et de l’amplitude à ses vêtements. L’utilisation du drapé antique répond ainsi à sa recherche de liberté pour la silhouette féminine.

Madeleine Vionnet, Robe blanche, drapé grec, en odalisque, Collection hiver 1912, © Gallica

Madeleine Vionnet, © Gallica

Nous pourrions également citer la talentueuse Madame Grès (1903-1993), de son vrai nom Germaine Emilie Krebs, qui, rêvant d’être sculptrice, aimait travailler le contact du tissu au corps en lui donnant également cette liberté de mouvement grâce à la technique des plis. Grande couturière du siècle précédent, Madame Grès crée les costumes de la pièce La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux et mise en scène par Louis Jouvet en 1935, soit un an après avoir confectionné ses premières robes drapées. Ces créations, représentant des lignes antiques épurées, sont qualifiées de modernes, actualisant ainsi le vestiaire grec.

Robe du soir Grès – 1958

Robe du soir Grès (dos) – 1958

Robe du soir Grès – 1942


Robe du soir Grès (dos) – 1942

©Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris

Enfin, on ne peut parler de l’influence antique dans le défilé de Chanel sans mentionner les fameuses spartiates portées par les mannequins aux allures de déesses !

Cela va peut-être vous décevoir, mais le port de spartiates à l’époque grecque est un mythe. Contrairement à ce que son nom donne à penser, cette chaussure, dont la sandale est attachée avec des brides remontant torsadées sur le tibia, ne doit pas son origine à la cité des Spartiates. Cette dernière, développant une éducation militaire on ne peut plus stricte, forme de véritables machines de guerre prêtes à combattre dans les situations les plus rudes qui soient. On sait, notamment grâce à Homère, que ces guerriers ne portent que rarement des chaussures, tout comme dans les autres cités d’ailleurs. L’origine antique de ces chaussures mythiques n’est, quant à elle, pas une légende : en réalité, on attribue leur création aux Egyptiens…

Néanmoins, il nous apparaît dur de détacher les spartiates de l’image de l’habillement grec à laquelle nous sommes accoutumés. Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans le milieu de la mode des créations d’inspiration grecque antique accompagnées de ces chaussures, rebaptisées « tropéziennes » par Dominique Rondini, qui confectionne ces chaussures confortables et sophistiquées dans son atelier de cordonnerie à Saint-Tropez, à partir des années 1920. Ainsi en est-il du défilé de Chanel, qui montre au public des spartiates aux couleurs vives, contrastant de fait avec les tenues or et ocre de ces déesses grecques.

Collection Chanel Cruise 2017/2018  © Chanel

J’espère que ce voyage à la croisée de la mode et de l’univers fantasmé de l’Antiquité grecque vous a plu. Personnellement, cela m’a donné envie de regarder à nouveau les nombreux peplums qui ont accru ma passion pour cette période et admirer la beauté de leurs costumes, quand bien même éloignés de la réalité. Car même s’ils ne sont pas réels, du moins nous aident-ils à rêver de cette époque fascinante et à nous transporter dans leur univers.

Merci pour votre lecture les amis, et à la prochaine pour de nouvelles aventures !

Sources :

Aurore Barreau, Coralie Philibert, « Madeleine Vionnet. Architecte du tissu« , Gallica, 21 mai 2021.

Claire Gebeyli, « Histoire de la mode Madame Grès, la doyenne de la haute couture (photos)« , L’Orient le Jour, 23 mars 2000.

François-Marie Grau, « L’ Antiquité », François-Marie Grau éd., Histoire du costume. Presses Universitaires de France, 2007, pp. 15-24.

Joshua J. Mark, « Vêtements de Grèce antique« , World History Encyclopedia, traduit par Babeth Étiève-Cartwright, 13 juillet 2021.

Michel Goujon, L’autre Saint-Tropez, Michel Lafon, 2017.

Nicole Salez, « Germaine Krebs à Madame Grès« , Tout pour les femmes.

Pierre Brulé, La fille d’Athènes, la religion des filles à Athènes à l’époque classique : mythes, cultes et société, Belles lettres, 1987.

Sibylle Vincendou, « Soyons spartiates« , Libération, 10 avril 2009.

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