*** Contribution extérieure : Partenariat ***
Article écrit par Océane, rédactrice chez Héritages, pour Un souffle d’histoires.
« Votre Sainteté est souveraine à Rome, mais j’en suis l’Empereur »[1]
Napoléon, dans une lettre envoyée au pape datée du 13 février 1806
L’année 1806 marque la rupture de l’entente cordiale entre Napoléon et le pape. Le premier, monté sur le trône de France deux ans plus tôt, s’érige comme le nouveau Charlemagne, et est prêt à tout pour conquérir le monde ; tandis que le second, chef spirituel de l’Église, règne sur des États pontificaux, et se défend d’être un pion que l’empereur peut instrumentaliser à sa guise. Ce bras de fer impérial ne prendra fin qu’avec la chute de Napoléon.
Pourtant, quelques années auparavant, tout semblait bien commencer. En 1800, cela fait plus de dix ans qu’une guerre a lieu entre partisans de l’Église constitutionnelle et partisans de l’Église réfractaire, depuis l’institution et l’organisation de la Constitution civile du clergé en 1790 établissant que les prêtres sont directement liés à l’État français et ne dépendent plus directement du Saint-Siège, contrairement aux prêtres dits « réfractaires ».
Héritier de la Révolution Française et des idées du Siècle des Lumières (l’empereur a lu pendant son adolescence Rousseau et Voltaire), Napoléon est convaincu que la religion est nécessaire à l’ordre social ; une paix civile ne peut avoir lieu sans paix religieuse.
Pour exécuter ses plans, Bonaparte a besoin du pape. Et comme la fin justifie les moyens, si la méthode douce ne marche pas, l’empereur est prêt à tout envisager pour obtenir ce qu’il veut, y compris enlever et séquestrer le pape !

Une paix fragile: Le Concordat du 15 juillet 1801
Au début du XIXème siècle, le catholicisme étant la religion la plus répandue en France, c’est logiquement vers les représentants de l’Église réfractaire, autrement dit le pape, que Bonaparte se tourne pour unifier son pays. Lors des séances du Conseil d’État des 28 thermidor an VIII (16 août 1800) et 14 brumaire an IX (5 novembre 1800), Napoléon justifie en ces termes cette volonté de réformer la France sur cette problématique : « Ma politique est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l’être. C’est là, je crois la manière de reconnaitre la souveraineté du peuple (…). Moi, Je suis philosophe. (…) C’est en me faisant catholique que j’ai fini la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais le peuple juif, je rétablirais le temple de Salomon ».

Les deux chefs d’État semblent alors animés par un but commun. Dans une lettre en date du 10 juillet 1800, le Pontife écrit au cardinal Consalvi chargé des négociations : « Vous pouvez dire au premier consul que nous nous prêterons avec bonheur à une négociation dont le but est si respectable, si convenable à notre ministère apostolique, si conforme aux vœux de notre cœur » ; tandis que Napoléon conseille au diplomate Cacault : « Traitez-le comme s’il avait deux cent mille hommes ». Leur relation commence sous les meilleurs auspices.
Cependant, les négociations s’éternisent. Pendant neuf mois, de novembre 1800 à juillet 1801, des débats houleux ont lieu entre représentants du Saint-Siège et représentants du gouvernement français. Il faut attendre le 15 juillet 1801 pour que le Concordat soit signé entre Joseph Bonaparte (frère de Napoléon), l’abbé Bernier (négociateur de la France auprès du pape), l’administrateur Emmanuel Crétet et le cardinal Consalvi. Le texte est ensuite ratifié le 15 août par le pape, puis le 16 septembre par le Premier Consul.
Réorganisant les relations entre la religion catholique et l’État en France après plusieurs années chaotiques, le texte établit notamment que : le catholicisme n’est plus religion d’État, mais la religion « de la majorité des citoyens français » ; la papauté ne remet pas en cause l’acquisition des biens nationaux durant la Révolution Française (10% de la fortune française appartenait à l’Église avant 1789) ; l’Église assure la démission des évêques de l’ancien régime ; l’État exerce un contrôle sur l’organisation du culte ; et la liberté religieuse est garantie (reconnaissance du culte juif en 1808).
Cependant, le caractère tyrannique et impérieux de Napoléon envenime les relations entre les deux hommes.

L’escalade des tensions diplomatiques
Le 18 avril 1802, le gouvernement français ajoute 77 articles dits « organiques » qui tendent à placer le Clergé sous sa dépendance absolue : « les papes ne peuvent déposer les souverains ni délier leurs sujets de leur obligation de fidélité, que les décisions des conciles œcuméniques priment sur les décisions pontificales, que le pape doit respecter les pratiques nationales, qu’il ne dispose enfin d’aucune infaillibilité ». Le Saint-Père proteste face au gallicanisme en partie restaurée (doctrine prônant l’autonomie du clergé français par rapport au pape), mais Napoléon ne cède pas. Les premières tensions apparaissent.
C’est en partie pour essayer d’obtenir l’abrogation de ces articles que le pape accepte de venir sacrer Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1804, alors que la majorité des cardinaux y sont hostiles. Le Pontife va alors essuyer deux affronts majeurs : le non-respect du cérémonial lors de leur rencontre organisée dans la forêt de Fontainebleau par Napoléon, et surtout, le rang de spectateur que le pape occupe lors du sacre. Celui-ci rentre donc à Rome sans avoir obtenu gain de cause. À partir de ce moment, les relations ne vont cesser de se détériorer.

© Photo RMN-Grand Palais
La tension atteint son point culminant lorsque le pape, par souci de neutralité, refuse d’appliquer le blocus continental contre l’Angleterre voulu par Bonaparte. Furieux de la réponse du pape et agissant en véritable tyran, l’empereur décide, en guise de représailles, d’envahir les États pontificaux en 1809. Le pape est donc cerné par les troupes françaises au sein de son Palais. C’en est de trop pour le Pontife qui excommunie Napoléon (implicitement, son nom n’étant pas mentionné) par la bulle Quum memoranda : « Tous les responsables des attentats commis à Rome et dans les États de l’Église contre les immunités ecclésiastiques et contre les droits même temporels de l’Église et du Saint-Siège »[2]. Apprenant la nouvelle, Napoléon entre dans une rage folle et écrit à Murat dans une lettre en date du 19 juin : « Si le pape (…) prêche la révolte (…) on doit l’arrêter »[3].
Enlèvement et séquestration du pape Pie VII
C’est dans la nuit du 6 au 7 juillet 1809, vers deux heures du matin, que l’impensable se produit : le général Radet enlève le pape. En réalité, Napoléon n’a pas donné l’ordre explicite d’arrêter son adversaire, mais poussait à la violence : « Plus de ménagement, c’est un fou furieux qu’il faut enfermer. Faites arrêter le cardinal Pacca et les autres adhérents du pape ». Informé de la situation, l’empereur se trouve alors quelque peu embarrassé : « Je suis fâché qu’on ait arrêté le pape ; c’est une grande folie. Il fallait arrêter le cardinal Pacca et laisser le pape tranquille à Rome. Mais enfin il n’y a point de remède, ce qui est fait est fait. (…) S’il est encore dans la rivière de Gênes le meilleur endroit où l’on pourrait le placer serait Savone »[4] ; mais n’en demeure pas moins satisfait « je n’en suis pas moins satisfait de votre zèle ».[5] Le 17 août, après 43 jours de voyage sous une chaleur accablante, le Saint-Père arrive enfin à Savone où il est isolé dans une citadelle. Pendant trois ans, de 1809 à 1812, Napoléon ne cesse de faire pression sur lui pour obtenir la signature d’un nouveau Concordat, en vain.
En mai 1812, Napoléon donne l’ordre de transférer le pape à Fontainebleau. Après un voyage particulièrement éprouvant (le pape, épuisé et malade, manque de mourir durant le trajet), il arrive au palais le 9 juin 1812. Après avoir été placé dans une maison qui relève des bâtiments, il prend place dans les appartements qu’il a connus en 1804. Du 20 juin 1812 au 23 janvier 1814, celui-ci n’est jamais sorti de son appartement. Ce n’est que le 19 janvier 1813 que Napoléon daigne enfin le voir, bien décidé à le faire plier.
Au cours d’une entrevue, Napoléon veut convaincre le pape qu’en s’installant à Paris, capitale du grand empire, celui-ci aurait plus de pouvoir que tous ses prédécesseurs. À ce numéro de séduction, le pape lui aurait alors répondu « Comediante », ce qui vaut à Napoléon de perdre son sang-froid et d’entrer dans une colère noire donnant lieu à une scène violente ; ce à quoi le pape lui aurait répliqué « Tragediante ». Pendant cinq jours, Bonaparte ne relâche pas la pression sur le pape, si bien que celui-ci, affaibli, cède et signe, le 25 janvier 1813, le Concordat de Fontainebleau par lequel il abdique sa souveraineté temporelle, une partie de son autorité spirituelle et consent à venir résider en France. Mais trois jours plus tard, Pie VII se rétracte.

En janvier 1814, l’empire agonise et Napoléon restitue les États au pape. Le 23 janvier, Pie VII quitte enfin le château de Fontainebleau et les cardinaux sont libérés. Le 24 mai 1814, il fait une entrée triomphale à Rome où les habitants le portent sur leurs épaules jusqu’à la basilique Saint-Pierre. Les États récupèrent également les œuvres d’art volées par Napoléon. Pie VII crée alors les musées étrusques, égyptiens et Chiaramonti des musées du Vatican. Son attitude de résistance pacifique et déterminée face à l’ogre corse lui porte un prestige immense auprès des nations de toute l’Europe.
A retenir :
- Dans une France divisée, Napoléon est convaincu qu’une paix religieuse est nécessaire à une paix civile. Il entame donc des négociations avec le pape pour réformer et réglementer l’organisation religieuse catholique en France, c’est le Concordat de 1801. Ce régime reste en vigueur jusqu’en 1905, date de séparation de l’Église et de l’État.
- Au fur et à mesure des divergences de points de vue et des déceptions, les relations entre les deux chefs d’État s’enveniment. Le point culminant est atteint lorsque le pape refuse d’appliquer le blocus continental contre l’Angleterre voulu par Napoléon. En guise de représailles, l’armée napoléonienne envahit les États pontificaux et enlève le pape qui devient captif de l’empereur à Savone, puis à Fontainebleau, de 1809 à 1814.
- Pie VII est le dernier pape avant Jean-Paul II à se rendre en France.
[1] Lettre de Napoléon au pape datée du 13 février 1806
[2] Bernardine Melchior Bonnet, « L’enlèvement du pape Pie VII », La Revue des deux mondes, mars 1958, p. 80, consulté en avril 2021.
[3] Ibid, p. 83
[4] Ibid
[5] Ibid p. 94
Sources :
Bernardine Melchior Bonnet, « L’enlèvement du pape Pie VII », La Revue des deux mondes, mars 1958, consulté en avril 2021.
Colonel Gosse, L’Empire et le Saint-Siège. Napoléon et la religion, Napoléon.org, Le site d’histoire de la Fondation Napoléon. URL : https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/lempire-et-le-saint-siege-napoleon-et-la-religion/. [Consulté en avril 2021].
Jacques-Olivier Boudon, Le Concordat et le retour de la paix religieuse, éditeur SPM, 2008, 222 pages.
Irène Delage (trad.), Peter Hicks, Napoléon et le pape Pie VII : du concordat signé en juillet 1801 à l’excommunication de l’empereur en 1809, Napoléon.org, Le site d’histoire de la Fondation Napoléon. URL : https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/napoleon-et-le-pape-pie-vii-du-concordat-signe-en-juillet-1801-a-lexcommunication-de-lempereur-en-juin-1809/, [Consulté en avril 2021].
Pie VII face à Napoléon : https://www.youtube.com/watch?v=NMb8amJIsiU&t=1859s
Label Histoire n°3 : Le pape et Napoléon : https:// www.youtube.com/watch?v=_X04PEvyVO0&t=32s
Fondation Napoléon, Un Concordat pour la paix religieuse (1801) : https://www.youtube.com/watch?v=nQng-o5hAB4
Le Concordat (1801) Première République : https://www.youtube.com/watch?v=av3EYZJUtQc
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