La malédiction de Toutankhamon : un fantasme hollywoodien ou une punition divine ?

Avec un bilan total de 27 morts suspectes suivant son ouverture, le tombeau de Toutankhamon entre dans la légende.

Nous sommes à l’aube du XXe siècle, dans la Vallée des Rois où Howard Carter, un archéologue anglais féru d’histoire et de trésors égyptiens, dirige un chantier de fouilles grâce au financement de Lord Carnarvon. Après avoir commencé à creuser l’été dans le delta du Nil, à Sakha, où une invasion de serpents entraîna un déplacement hâtif du camp, Howard Carter reprit les travaux du côté de Thèbes. Le serpent étant un animal sacré pour les Egyptiens, cette invasion fut en effet considérée comme un signe. De bon ou de mauvais augure, seule l’histoire en décidera… Ainsi commence la folle aventure de la malédiction des Pharaons.

La découverte du tombeau

Alors qu’Howard Carter attendait avec impatience les résultats des fouilles, des fellahs, c’est-à-dire des paysans égyptiens, creusaient sous des huttes de pierres en ruine, édifiées il y a deux mille ans près du tombeau du pharaon Ramsès VI. Le 2 novembre 1922 cependant, le chantier était en ébullition : quelque chose a été trouvé sous la hutte. Alors que les fellahs continuaient de creuser jusqu’à la tombée de la nuit, quatre marches se dévoilèrent sous leurs pas, annonçant l’entrée d’un mystérieux souterrain. Carter était alors plus excité que jamais. Il était persuadé que ses recherches le mèneraient vers quelque chose de tout à fait grandiose.

Le lendemain, le chantier reprit de plus bel. Alors que la seizième marche apparaissait, Carter s’enfonça dans l’escalier et perça un trou dans le ciment de la porte avant de découvrir, après avoir marché plusieurs mètres, une autre porte sur laquelle reposait le sceau de Toutankhamon.

Carter n’avait alors qu’une hâte : découvrir ce que cette porte au sceau royal renfermait. Il souhaitait cependant attendre la venue de Lord Carnarvon à qui il devait le financement de ces fouilles pour entrer, ensemble, dans l’ultime demeure du pharaon. Ainsi, ce n’est que le 25 novembre que l’égyptologue, accompagné de Callender, un autre archéologue reconnu, de Lord Carnarvon et de sa fille lady Evelyn Herbert, entra pour la première fois dans le tombeau de Toutankhamon. « Ce fut le jour des jours, le plus merveilleux que j’aie jamais vécu » écrira-t-il dans ses Mémoires.

“L’air chaud qui s’échappait de la chambre faisait clignoter la flamme de la bougie. Puis, à mesure que mes yeux s’accoutumaient à l’obscurité, des formes se dessinèrent lentement: d’étranges animaux, des statues, et partout le scintillement de l’or.”

Howard Carter, Lord Carnarvon and sa fille Lady Evelyn Herbert, Photographie de Harry Burton, 1922, Griffith Institute Archive

Dans la vaste pièce de huit mètres sur trois mètres soixante (oui j’aime la précision), ils trouvèrent des sièges en or, des coffrets incrustés de gemmes, des sceptres, des trompettes, des bijoux et autres trésors qui se dévoilèrent à eux à la lueur des torches. Une vraie caverne d’Ali Baba ! La perle de ce trésor demeurait cependant le trône du pharaon étincelant d’or et d’argent.

Mais Carter avait envie d’aller plus bien, d’avancer jusqu’au cœur du tombeau. Allaient-ils découvrir le sarcophage du pharaon ? Il faudra attendre le 18 février 1923 pour que l’équipe poursuive l’exploration du tombeau après des mois de travaux pour accéder aux pièces suivantes. A l’entrée de la tombe s’était amassée pour l’occasion une foule de nobles et de personnalités importantes, parmi lesquelles figuraient, entre autres, la sultane douairière d’Egypte, la reine Elisabeth de Belgique et les ambassadeurs de France et de Belgique.

Dans une petite ouverture apparurent des bijoux, des statuettes plus magnifiques les unes que les autres, des éventails, des ustensiles ménagers, des boîtes à miroir… en somme, les objets dont devait se servir le pharaon dans l’au-delà.

Howard Carter, Lord Carnarvon et sa fille ouvrant les portes de la chambre funéraire (reconstitution faite en 1924 de l’entrée dans le tombeau de février 1923), photographie d’Harry Burton, The New York Times photo archive

Pectoral au scarabée de Toutankhamon,
© CULTUNAT, Dist. RMN-Grand Palais / Ayman Khoury

Barque de Toutankhamon,
© CULTNAT, Dist. RMN-Grand Palais / Ayman Khoury
Bracelet au scarabée de Toutankhamon,
©CULTNAT, Dist. RMN-Grand Palais / Ayman Khoury

Bien que le sarcophage de Toutankhamon ne soit découvert qu’en octobre 1925 – avec un masque funéraire en or massif ! – Lord Carnarvon et Howard Carter avaient triomphé en trouvant à ce moment là ce qui constitue aujourd’hui une majeure partie des trésors archéologiques égyptiens. La presse égyptienne, mais aussi internationale, se pencha ainsi sur leur succès pour remplir leurs papiers. Des maisons de couture américaines souhaitèrent même acheter des droits de reproduction pour faire des habits et des accessoires s’inspirant de ceux trouvés dans le tombeau. In fine, tout se passait à merveille pour l’équipe anglaise qui venait de faire ce qui sera la plus belle découverte de leur vie. Le 4 avril 1923 cependant, l’aventure prit un autre tournant…

La malédiction se répand

Lord Carnavon meurt subitement, probablement à cause d’une piqûre de moustique au visage qui se serait infectée et d’une pneumonie qui, conjointement, auraient causé une septicémie.

Si cette mort paraît des plus banales, la presse s’empresse de la lier aux mises-en-garde des fellahs qui annonçaient une punition contre la profanation d’un tel lieu sacré. Ainsi l’affirme Le Figaro en 1923 :

« L’homme qui découvrit l’hypogée du pharaon Toutankhamon a été victime des divinités souterraines. Lord Carnavon n’est plus. Ainsi se trouvent réalisés les menaces des grands prêtres égyptiens contre les profanateurs des momies… ».


Une histoire, qui relèverait au premier abord de l’anecdote, ressortit soudainement afin d’ajouter à la mort de Carnavon un caractère dramatique. Durant les fouilles, le canari de l’archéologue Carter l’avait accompagné sur le chantier et reposait, à l’abri dans sa cage, en haut des escaliers du souterrain. Du moins était-ce le cas jusqu’à ce qu’un cobra, dont la corpulence lui permit de passer à travers les barreaux, vint le dévorer.

Pour les Egyptiens, point de doute : engouffré par l’animal sacré par excellence, la mort de ce canari était le premier signe de la malédiction.

Firmin Bocourt, Serpent à coiffe d’Egypte, 1854, Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, ©RMN-Grand Palais / image du MNHN, bibliothèque centrale

Aussi étrange est la mort du chien de Lord Carnavon, qui, après avoir lâché un terrible cri, rendit son dernier souffle à l’exact moment où son maître s’éteignait.


A ces décès succèdent ceux du jeune frère de Lord Carnavon, âgé de 43 ans, de l’infirmière de Lord Carnarvon, du secrétaire d’Howard Carter, Richard Bethell, puis celui du père de ce dernier, Lord Westbury.

Quelques années plus tard survient la mort de Hugh Eveylyn-White qui, travaillant aux côtés de Carter sur l’inventaire des trésors trouvés sur le chantier, souffrait d’une dépression et se pendit après avoir laissé une lettre à sa famille : « Je succombe à une malédiction qui me force à disparaître ».

Les morts soudaines des personnes impliquées dans cette trouvaille continuent ainsi de déchaîner la presse et l’opinion publique.

Illustration du Petit Journal de 1923, ©Collection KHARBINE-TAPABOR

Pourtant, de nombreuses hypothèses viennent contredire celle d’une malédiction à l’œuvre contre les profanateurs du tombeau.

L’intervention de la science

Une des hypothèses les plus évoquées fut celle d’un virus qui se trouvait enfermé dans le tombeau depuis 3 000 ans et qui, avec son ouverture, fut libéré. Un virus ou encore des champignons libérant des toxines délétères pour l’homme. Mais les scientifiques, expliquant que les champignons ou germes ne peuvent subsister durant une telle durée dans un lieu clos, réfutèrent cette possibilité. L’huile d’amande douce, utilisée pour l’embaument des momies et qui se métamorphosa en cyanure, fut également citée comme une potentielle origine de cette étrange série de décès. Encore plus farfelue est l’hypothèse de savants américains selon lesquels les contemporains de Toutankhamon, qui auraient découvert les conséquences néfastes des matières radioactives, auraient déposé ces matières dans le tombeau afin de le préserver des voleurs. Cependant, malgré le fait que les Egyptiens soient effectivement connus pour avoir été de grands érudits, notamment dans le domaine scientifique, les spécialistes d’aujourd’hui affirment qu’aucun des objets enfermés aux côtés du pharaon n’aurait pu transmettre la maladie de radiodermite. Une étrange hypothèse nous vient cette fois d’Afrique du Sud, affirmant que le pouvoir mortel du tombeau viendrait en réalité des chauves-souris. La maladie provenant de ces chiroptères serait l’histoplasmosis, finement étudiée par Geoffroy Dean qui en fut lui-même victime. Cette hypothèse est accueillie favorablement par la presse internationale, tel que le British Medical Journal, avant qu’elle ne s’essouffle à la fin des années 1950.

Malédiction ou pure légende propagée par la presse ?

L’explication la plus communément acceptée est qu’il s’agit de morts qui, semble-t-il, n’ont rien avoir entre elles. En effet, nombre d’entre eux meurent bien des années après la découverte de la sépulture, avec pour beaucoup plus de 50 ans derrière eux. Et puis n’oublions pas Howard Carter, en première ligne de la profanation, qui restera en vie jusqu’à s’éteindre à l’âge de 64 ans en 1939.

Il est en outre intéressant de souligner que depuis la fin du siècle précédent, le spiritisme était une tendance à laquelle succombaient bon nombre d’Européens. La conservation de momies encore intactes semblait à leurs yeux indiquer qu’elles avaient le pouvoir de défier le temps. Par ailleurs, avant même que le tombeau ne soit ouvert, une malédiction de momies faisait son apparition dans les écrits de Lord Charles Beresford en 1896. Ajoutons à cela le récit de l’égyptologue Arthur Weigall, décrivant l’aventure de cinq pillards d’une tombe de Thèbes en 1905, décédés à cause de gaz toxiques qui en furent libérés. Ces accidents, conjugués à l’attrait pour le surnaturel de l’époque, expliquent en partie l’ampleur d’une telle affaire.

Si l’écoulement du temps signa la fin de la croyance en une certaine malédiction, de grands écrivains et réalisateurs s’emparèrent en tout cas de la légende de la vengeance de la momie, la rendant ainsi immortelle.

Scène du film La Malédiction du Pharaon, réalisé en 2007 par Russell Mulcahy, ©Hallmark

Que l’on croit ou non à cette malédiction, l’étrange série de décès ne peut que nous rappeler la sentence que présentait la porte du tombeau à tous ceux qui oseraient profaner ce lieu sacré. 27 personnes avaient en effet perdu la vie comme l’annonçait la prédiction, selon laquelle « la mort touchera de ses ailes celui qui dérange le pharaon ».


Sources :

Guy Claisse, ” La Malédiction de la Vallée des Rois”, Les grandes énigmes du temps jadis, Éditions De Crémille, 1991.

Hélène Bouillon, Les 100 mythes de l’Égypte ancienne, Que sais-je ?, 2020.

Marc Gabolde, Toutankhamon, 2015.

7 commentaires sur « La malédiction de Toutankhamon : un fantasme hollywoodien ou une punition divine ? »

  1. Deux petits compléments, venant de deux de mes compatriotes, et qui confirment ce bel et juste article. L’engouement de la presse autour de la prétendue malédiction du pharaon fut tel qu’en 1935, l’égyptologue belge Jean Capart, dans son journal intime, se plaignait de n’être interrogé par les journalistes que sur ça: “Cela finira par tourner à la scie”, écrivait-il. On ne parlait pas encore de buzz à l’époque! De son côté, Hergé, dans “Les sept boules de cristal”, treizième album de Tintin (publié en 1948, prépublié à partir de 1943), s’inspira de la “malédiction”, transposée dans le contexte de la civilisation inca, ainsi que du personnage même de Capart, reconnaissable dans le professeur Bergamotte.

    1. Merci beaucoup pour votre commentaire venant très justement compléter l’article ! C’est en effet intéressant de voir ce que les égyptologues contemporains ont pensé de l’affaire. J’aimerais d’ailleurs en savoir plus sur Jean Capart car il me semble être un acteur non négligeable du développement de l’égyptologie en Belgique.

      Il me semblait bien qu’un album de Tintin s’était inspiré de cette malédiction, mais je ne me souvenais plus lequel exactement! Merci pour le rappel 😉

  2. Super intéressant, et les trésors découverts sont magnifiques ! C’est une bonne idée d’avoir ajouté des photos !

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