*** Contributions extérieures ***

Un destin hors-normes
L’enfance d’Henri II à la pépinière de Saint-Germain-en-Laye -c’est avec son propre modèle en tête que le roi enverra tous ses enfants au château de Saint-Germain pour leur éducation- est plutôt paisible. Et à dire vrai, il n’existe que peu de documents susceptibles de nous en apprendre davantage. Cependant, deux événements vont marquer la jeunesse du futur monarque. Le premier commence à Pavie au soir du 24 février 1525. La déroute est totale pour l’armée française face aux forces de Charles-Quint (1500-1558), le roi lui-même est fait prisonnier. Celle-ci brise définitivement l’espoir de François Ier de dominer les territoires du nord de l’Italie. A la suite de cette lourde défaite et afin de payer la libération du roi, ses deux fils restent otages de Charles Quint à Madrid. Henri n’a alors que six ans. Les deux jeunes enfants ne seront libérés qu’au prix d’une rançon livrée par la France en 1530, soit quatre ans après le début de leur détention en Espagne. Certes, cet événement majeur aura forgé le caractère du petit garçon.

L’autre événement majeur de la jeunesse du futur souverain se passe le 10 août 1536. Ce jour marque la mort du Dauphin François, atteint d’une maladie mystérieuse et virulente alors qu’il était en route pour défendre le sud du royaume d’une avancée des armées de Charles Quint. La légende noire veut que celui-ci ne soit pas totalement innocent dans la mort du dauphin, dont les causes étaient difficiles à cerner à l’époque… Toujours est-il que de simple membre de la famille royale, Henri devient héritier présomptif à la couronne de France. Alors que les précepteurs de son frère aîné s’étaient appliqués à lui apprendre le futur rôle de roi qu’il devait être amené à tenir, ceux d’Henri ne lui avaient donné aucune clé en ce sens. Il avait reçu une éducation humaniste et chrétienne, comme il était coutume de le faire pour un prince de sang, mais aucune notion de politique et de gestion d’un royaume aussi important que celui de la France au XVIe siècle. Avec la mort de son aîné, François Ier prit conscience de l’importance de son fils Henri et tenta de combler le retard pris dans l’éducation de son fils durant la fin de son règne.

Un souverain dans les arts et la guerre
Quand vient l’heure de succéder à son père en 1547, Henri II est dans la force de l’âge à 28 ans. Sa politique se concentre sur les derniers chantiers commencés par son père, tant politiques que culturels. Ainsi, il agite de nouveau les prétentions françaises sur l’Italie, il accentue la pression sur la religion réformée et soutient la Renaissance française par le moteur du foyer artistique de Fontainebleau. Ainsi, il arrange un nouveau projet de salle de bal à Fontainebleau, entièrement peinte à fresque et décorée de boiseries, la salle la plus impressionnante du royaume. Sous son règne, on aménage également une aile neuve du palais du Louvre, aujourd’hui plus connue sous le nom d’aile Lescot, qui montre tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, la flamboyante maîtrise de l’art de Fontainebleau. En 1549, une entrée royale est organisée pour montrer les nouveaux souverains à Paris dans un long cortège de luxe et de fastes, qui n’a rien à envier aux triomphes romains d’autrefois. Henri II conduit également des troupes, comme son père. La rivalité avec Charles Quint se ranime avec l’accession au trône d’Henri, et la succession du fils de Charles Quint, Philippe II (1527-1598), la renforce. Henri II ressuscite les prétentions du roi de France à la couronne d’Empereur du Sainte-Empire, alors considéré comme le nouvel empire romain. En outre, Henri II rappelle le connétable Anne de Montmorency (1493-1567), son mentor, aux plus hautes fonctions. Celui-ci en avait été exclu par François Ier à la fin de son règne. Tout ceci conduit Henri II à mener une politique dans la parfaite lignée de son père, ce qui ne la rend pas moins importante. Autant que François Ier, le roi Henri II a connu la gloire et l’humiliation sur le champ de bataille. Il a mené les arts de France à un sommet, dont on peut encore admirer aujourd’hui les exemples. Son règne représente également un moment charnière pour le royaume sur le plan religieux, alors que la réforme protestante prend de plus en plus d’importance.

Côté cœur, Henri avait conclu très jeune un mariage avec Catherine de Médicis, nièce du Pape, issue de la famille de banquiers et seigneurs de Florence. Mariage politique et financier, ce mariage est d’abord compliqué. Les deux époux ont alors quatorze ans, et aucun enfant ne semble vouloir voir le jour de leur union. Or, quand Henri devient finalement roi, la question commence à être urgente. Certaines mauvaises langues suggèrent d’écarter la jeune femme si celle-ci ne parvient pas à concevoir d’enfant dans les plus brefs délais. Sa position devient délicate quand une des maîtresses du roi parvint à lui donner une petite fille : ceci devait prouver que le problème ne venait pas d’Henri II. Or, il s’avère que le problème venait bien de ce cher Henri ! Autant qu’on le sache, sa majesté avait une malformation de l’engin : rien de grave, mais ceci rendait la fécondation compliquée. Fernel, le médecin qui lui avait diagnostiqué le problème, pratiqua une opération qui lui ôta toute gène. Si bien qu’à partir de 1544, dix enfants naîtront de l’union des deux têtes couronnées de la France.
Tout est bien qui finit bien.

Mais c’était sans compter le grand amour d’Henri II, la fameuse Diane de Poitiers. Quand il n’était qu’un jeune adolescent, Henri l’avait comme préceptrice. Cette jolie femme, belle mais aussi très cultivée, l’obsédait. Si bien que malgré leur vingt années de différence, les deux amants ne se quittèrent plus (dans cette histoire, n’y voyez aucune allusion à une quelconque relation contemporaine). Henri II, devenu roi, reste transi d’amour pour sa belle. Il y a dans cette relation quelque chose des romans de chevalerie, qu’Henri II prend régulièrement comme modèle. En effet, bien que l’on situe son règne à la Renaissance, Henri n’en a lui-même pas conscience. L’héroïsme et la courtoisie des chevaliers de la fin du Moyen Âge demeurent des notions très ancrées dans la tête du roi de France. Ainsi, la poésie et l’amour courtois envers cette femme qu’il admire en sont les conséquences.
On conserve des échanges épistolaires et des vers d’Henri II, montrant à quel point le roi lui faisait littéralement la cour. Dans un poème de 1552 dédié à sa belle, Henri déclame son premier paragraphe : « il n’a jamais été juré plus ferme fidélité / à un nouveau prince, ô mon unique princesse / que mon amour qui vous sera, sans jamais cesser / garanti contre le temps et la mort. ». De quoi rendre jalouse Catherine de Médicis… Un jour de 1553, alors qu’il est resté au lit à cause d’un rhume, le roi « supplie » sa maîtresse de l’excuser de ne pas avoir pu lui écrire plus tôt, lui assurant désormais qu’il est à son commandement « plus que jamais il n’a été auparavant ». En 1558, alors qu’il part au champ de bataille, il fait savoir à sa dame qu’il s’efforcera « d’être digne de pouvoir porter l’écharpe » qu’elle lui a envoyée. Durant son règne, Henri lui cède tout : elle est faite duchesse du Valentinois, obtient la construction du luxueux domaine d’Anet. A la fin du règne de son bien-aimé, elle approche des soixante ans, mais reste très active aux cotés du souverain.

Cela ne fait que douze ans qu’Henri II règne sur la France quand son destin tragique le rattrape. A l’été 1559, on fête à l’hôtel des Tournelles à Paris le double mariage de la sœur du roi Marguerite de France avec le duc de Savoie, et celui de la fille du roi, Elisabeth, avec le roi d’Espagne Philippe II. C’est une grande joie pour la cour, car cela concrétise la paix conclue avec les Habsbourg un peu plus tôt dans l’année. L’hôtel des Tournelles est un lieu de fêtes maintes fois utilisé, notamment par Henri II au moment de son sacre, ou bien la même année 1559, pour fêter la signature du traité de Cateau-Cambrésis. On chante, on danse, on rigole. Et un fastueux tournoi est organisé dans la rue saint-Antoine, toute proche de l’hôtel, devant toute la cour. Bien sûr, Henri II, la quarantaine, s’empresse de participer à cet événement chevaleresque qu’il adore particulièrement. Lui et son cheval portent fièrement le noir et le blanc, que l’on dit être les couleurs de Diane de Poitiers. La reine Catherine de Médicis est quant à elle sujette à des doutes, elle a un mauvais pressentiment. Adepte de l’occultisme et de l’astrologie, la reine avait fait un mauvais rêve et tient à ce que son époux ne se prête pas au jeu de la joute.

Finalement, que retenir de ce monarque ? Outre son règne court de douze ans1, Henri II participe à la vitalité de la France sur le plan international, où il continue de s’opposer comme son père aux Habsbourg. Sur le plan national, il continue la politique culturelle qui consiste à soutenir l’essor de l’école de Fontainebleau en France et ailleurs, et contribue à son propre rayonnement ; il accentue la politique de répression religieuse, qui va tourner après sa mort et la crise politique qui s’ensuit à la guerre civile. Henri II est un roi de la continuité, certes, mais aussi un roi du changement. Il est synonyme de fastes et de culture et contribue à la réussite des arts français. Il n’est donc pas à négliger dans la hiérarchie des rois de France, faisant de son court règne un temps marquant au cœur du XVIe siècle.
- rappelons qu’à titre de comparaison, le règne de Louis XIV s’étend sur 72 années.
- Henri II et les Arts, acte du colloque, 25-27 septembre 1997, Ecole du Louvre, Paris, 1997.
- CREPIN-LEBLOND Thierry, FAISANT Etienne, MULTON Hilaire, Henri II, Renaissance à Saint-Germain-en-Laye, RMN, Paris, 2019.
- CHATENET Monique, La cour de France au XVIe siècle, Paris, Picard, 2002.