Remonter le temps avec le château de Pierrefonds

Pensiez-vous un jour avoir la chance de visiter le château où s’est tournée la série Kaamelott d’Alexandre Astier ? Moi-même, je n’y croyais pas. Et pourtant, en me perdant dans l’immense forêt de Compiègne, au nord de Paris, je suis tombée sur une ville tout droit sortie d’un conte de fées. J’ai eu l’impression de sortir d’une grotte et de découvrir le monde magique des fées du Lac des Cygnes. Pierrefonds, petite commune d’à peine 1 840 habitants, est surtout connue pour son château médiéval, qui semble lui aussi sorti d’un livre d’Histoire. J’ai tout de suite voulu en savoir plus sur cette apparition presque mystique ! Si vous le voulez bien, je vous emmène dans un château à l’histoire tout à fait unique qui n’a pas fini de faire rêver les férus du Moyen Âge !

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La château de Pierrefonds domine la ville.

En s’approchant de la grande bâtisse, nous sommes tout de suite frappés par la conservation de celle-ci. Comment un tel monument a-t-il pu traverser les âges sans avoir une seule égratignure ? Eh bien, figurez-vous que le château de Pierrefonds se moque bien du temps et malgré les nombreux épisodes de son histoire pas très glorieuse, il reste l’un des châteaux les mieux conservés de France.

En 1397, le duc Louis d’Orléans (1372-1407), frère de Charles VI atteint de crises de démence, demande de faire construire dans le petit village de Pierrefonds une demeure fortifiée. En conflit avec le duc de Bourgogne pour le pouvoir royal, il espère ainsi asseoir sa puissance et utiliser la position stratégique du château pour contrôler les échanges commerciaux entre les Flandres et la Bourgogne. Deux familles se battent alors pour le pouvoir : les Bourguignons, alliés aux Anglais et les Armagnacs, du côté de Louis d’Orléans. Ce dernier, en plus de la construction du château de Pierrefonds, s’occupe de rénover ou de bâtir d’autres châteaux dans la région afin d’établir une vraie frontière militaire pour gouverner le nord de Paris. Neuf ans plus tard, le château de Pierrefonds est construit en un temps-record et permet au futur poète et fils du duc, Charles d’Orléans, d’y organiser son mariage devant toute la cour. En 1407, Louis d’Orléans est assassiné par des partisans des Bourguignons à Paris. Le roi d’Angleterre en profite pour remporter la victoire d’Azincourt en 1415 contre les Armagnacs. Charles d’Orléans, désigné comme héritier du château, sera fait prisonnier pendant 25 ans en Angleterre.

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Les années passent, la guerre de Cent Ans (1337-1453) s’éternise et nous voici fin du XVIe siècle. Pierrefonds était alors, depuis le IXe siècle, le siège d’une châtellenie importante, c’est-à-dire d’un territoire où le maître du château exerce ses droits seigneuriaux. Racheté par Philippe Auguste, Pierrefonds est rapidement assiégé par le Maréchal de Biron et ce n’est qu’en 1595 qu’Henri IV en fait l’acquisition. Quelques années plus tard, un certain Antoine d’Estrées, père de la maîtresse du roi Henri IV, achète Pierrefonds pour la somme de 18 000 ducats. Mais à peine 20 ans plus tard, en 1617, Richelieu vient s’attaquer au château et, dans le cadre de sa politique concernant les abaissements des grands féodaux, ordonne la démolition du château. Le ministre de la Guerre n’est pas tendre avec Pierrefonds et, à l’aide de plus 3000 hommes et de 500 chevaux, réduit en poussière la bâtisse. Le XVIIIe siècle n’est donc pas fameux pour notre château qui n’est qu’un tas de ruines. Les paysans s’en servent pour construire leurs maisons pendant deux siècles. Toujours moins cher, Pierrefond est vendu comme bien national en 1798 pour 8100 Frs.

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Le Pont-levis de Pierrefonds est un exemple de l’architecture du Moyen-Age

L’histoire du château prend heureusement une tournure plus joyeuse lorsqu’en 1810, Napoléon Ier le rachète pour la modique somme de 2 950 Frs, c’est-à-dire 450 euros. Au début du XIXe, le renouveau du Romantisme et l’intérêt toujours plus grand pour les vestiges du passé offrent au château une renommée internationale. Dessinateurs, peintres et graveurs s’y rendent pour puiser leur inspiration. Une anecdote raconte d’ailleurs que c’est au beau milieu des ruines qu’un banquet organisé par Louis-Philippe fut donné le 11 août 1832 pour célébrer le mariage de sa fille avec Léopold 1er de Belgique.

L’histoire continue à embellir l’édifice. Inscrit sur la liste des monuments historiques en 1848, le château reçoit la visite du futur Napoléon III, féru d’archéologie, le 15 juillet 1850. Il faudra attendre que ce dernier accède au trône pour que le château retrouve enfin toutes ses lettres de noblesse. A partir de 1857, le neveu de Napoléon Ier veut faire de Pierrefonds sa résidence impériale, c’est-à-dire un lieu de villégiature réservé aux divertissements de la cour, comme la chasse. Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879), par l’entremise de Mérimée, écrivain et archéologue français, est pressenti pour réaliser les travaux de restaurations. L’architecte était déjà connu pour avoir restauré la basilique de Vézelay en 1849 ou encore la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1843 avec l’aide de Jean-Baptiste-Antoine Lassus. Son œuvre la plus complète et qui reflète parfaitement tout le génie et les influences de l’architecte reste l’Eglise Saint Jean-Baptiste de Belleville à Paris. Viollet-le-Duc se lance donc dans un nouveau défi et pour répondre aux exigences de l’empereur, tente de faire ressusciter Pierrefonds en la rénovant presque à l’identique. Il y rajoutera une touche d’idéalisation et offrira un complexe moyenâgeux tacheté d’influences de la Renaissance.

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La chapelle ne répond à aucun autre modèle préexistant. L’architecte a eu l’idée d’y rajouter une vaste tribune voûtée et surélevée au-dessus de l’abside.

Au début des travaux, seuls le donjon et les tours devaient être partiellement reconstruits afin de recevoir l’empereur occasionnellement. Cependant, en 1861, Napoléon préférera construire sur les ruines une imposante demeure tout en suivant le courant romantique, initié par la publication de Notre-Dame de Paris, par Victor Hugo. Un nouveau challenge pour l’architecte qui a dû s’atteler à une recomposition complète d’une architecture médiévale. Dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture en 1866, Viollet-le-Duc écrit : restaurer un édifice, « c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». C’est pourquoi, Pierrefonds correspond plutôt à une réinterprétation idéale de ce qu’aurait pu être un château au Moyen-Âge. L’architecte est tout de même resté attaché aux plans d’origine.

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Plan du château de Pierrefonds

Le château est construit sur la base d’un quadrilatère irrégulier avec huit grosses tours de défense. Chaque tour était d’ailleurs symboliquement appelée par un héros légendaire de l’Antiquité ou une figure chevaleresque moyenâgeuse : Hector, Alexandre, Charlemagne, Arthur, Josué, Godefroi de Bouillon, les Macchabées et enfin Jules César. Cette dernière tour, la plus imposante de toute, se trouve à l’entrée du pont-levis et abrite les appartements de Napoléon III et d’Eugénie. Cet édifice nous offre une belle leçon sur l’architecture militaire avec le système défensif complet qu’un château-fort pouvait avoir. L’aspect extérieur répond fidèlement au château de Louis d’Orléans. L’architecte a plutôt inscrit sa marque de fabrique à l’intérieur de l’édifice. Fort de ses talents d’ornemaniste, le décor est sculpté minutieusement et la peinture au pochoir offre une richesse d’ornements peu comparable. Les motifs floraux côtoient des figures plus médiévales. La vive polychromie et la précision du dessin rappellent étrangement l’Art nouveau, avec cinquante ans d’avance. La cassette de l’empereur s’est occupée de financer 75% de la construction.

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La grande salle des Preuses destinée à recevoir les cérémonies de l’Empereur

La salle la plus surprenante reste la grande salle du château, connue sous le nom de Salle des Preuses. Ses dimensions titanesques avec 50 m de long sur 9,50m de large et 12 m de haut ont ainsi permis à l’empereur de donner des réceptions impériales. Cette salle servit aussi pendant un temps à conserver la collection privée d’armures de Napoléon III, aujourd’hui préservée aux Invalides. De chaque côté de la pièce, les convives pouvaient admirer deux ensembles statuaires. Le premier représente Charlemagne en compagnie de princes paladins. Du côté de la majestueuse cheminée, nous pouvons admirer neuf preuses, Sémiramis, reine légendaire de Babylone et ses huit compagnes, figurées sous les traits de l’impératrice Eugénie et ses huit dames de la cour.

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                                Charlemagne et ses princes paladins
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                Les neufs preuses sous les traits de l’impératrice Eugénie et ses dames de la cour

Après la mort de Viollet-le-Duc en 1879, son gendre Maurice Ouradou reprit le chantier jusqu’en 1885 sans l’achever à cause de la chute du Second Empire. Le château ne reçut d’ailleurs jamais le mobilier dessiné par l’architecte. Déserté, il va traverser le XXe siècle jusqu’à être récupéré par la Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites. Placée sous la tutelle du ministère de la Culture, elle s’occupe et anime les visites de près de 100 monuments nationaux, propriétés de l’État.

Par la beauté et la conservation de son style médiéval, Pierrefonds a été le décor de nombreux films. Pour n’en citer que quelques-uns, ont été tournés au château de Pierrefonds “L’aigle à deux têtes” de Jean Cocteau en 1947, “Le Bossu” d’André Hunebelle en 1959, “Jeanne d’Arc” de Luc Besson en 1999 ou encore “Les visiteurs 1 et 2” de Jean-Marie Poiré en 1993 et 1998. Comme évoqué plus tôt, c’est aussi la demeure du célèbre roi Arthur de Kaamelott et de ses chevaliers. La série “Merlin”, qui retrace la jeunesse de l’enchanteur,  s’est aussi installé au château.

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                     Les acteurs de la série “Merlin” dans la grande Salle des Preuses

Ce château suscite pourtant la controverse. Vu par certains comme une idéalisation , presque un château fantaisiste imaginé et non fidèle à la réalité, d’autres défendent au contraire la chance d’avoir à notre disposition un témoignage authentique d’une époque médiévale où il ne reste plus grand-chose. Une chose que nous ne pouvons enlever à son architecte, reste sa talentueuse idée d’avoir concilié la modernité avec l’histoire médiévale. C’est pas faux !

Marie-Belle Pargeshian

Ps. Si vous êtes courageux, vous pouvez même vous rendre dans le sous-sol du château ! Dans cette salle aux étonnantes voûtes, se trouve “Le bal des Gisants”. Sur un fond musical avec des poèmes et des jeux de lumière, des tombeaux et cercueils présentent leur danse immobile. Vous ferez alors la rencontre de Catherine de Médicis, François 1er, Henri II ou encore notre fameux Louis d’Orléans. Ils écoutent éternellement les poèmes de Charles 1er d’Orléans que celui-ci a écrits lors de sa captivité !
Un endroit déroutant en sens et en émotion !

Ps2 : “Et toc ! Remonte ton slibard, Lothard !” comme dirait sans transition Franck Pitiot dans le livre II de Kaamelott.

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