*** Contribution extérieure***
Aujourd’hui, il suffit de rentrer dans une église aux Etats-Unis pour écouter du Gospel. Ce chant est connu de tous pour être entraînant et dansant. Comparé aux chants religieux chrétiens plus stricts, le Gospel apparaît alors comme une fête. Et pourtant, son origine n’est pas si joyeuse. Il tire effectivement ses racines d’une histoire bien plus douloureuse, celle de l’esclavage, des colonies et de la ségrégation des Afro-américains. Le Gospel recouvre alors la musique religieuse en provenance du peuple africain déporté tout en étant un moyen pour les opprimés de crier leur espoir et leur douleur.
Ce chant ne s’est donc pas fait en un jour. Bien au contraire, il tire ses origines de la guerre de Sécession aux Etats-Unis et particulièrement de la traite des esclaves entre 1769 et 1875. Durant cette période, le Negro Spiritual fait son apparition. Ce chant religieux populaire rural se situe au croisement d’une vision africaine du monde et de la culture des Blancs. En effet, lorsque les noirs ont été forcés à quitter leur terre d’Afrique, ils ont perdu toutes notions d’identité et ont été ramenés au rang d’animaux. Leur religion africaine, mise à mal par la faillite de leurs dieux qui n’ont pas réussi à vaincre le dieu des Blancs, est d’abord vue comme une croyance barbare. Cependant, ils refusent d’oublier leur origine et vont alors essayer de développer leur propre humanité. Pour se comprendre, ils développent ainsi une nouvelle religion, empreint de leur culture d’origine ainsi que celle de leurs maîtres blancs. Ils mettent au centre de cette spiritualité la musique et le chant et c’est ainsi que le Negro Spiritual voit le jour. Ce terme n’apparaît pas avant la guerre de Sécession et vient sans doute de l’expression populaire « spiritual song » que l’on retrouve dans l’épître aux Colossiens 3, 16. Le Negro Spiritual se développe dans la rencontre d’une sensibilité africaine avec une musique européenne disponible et a pour particularité la technique du « shout », le cri jusqu’à l’extase. Il franchit rapidement toutes les frontières et, signe de dignité et de liberté, il constitue « une parabole universelle de l’existence humaine » d’après Bruno Chenu dans son Grand livre des Negro Spirituals.

La Guerre de Sécession terminée, l’esclavage est aboli. Mais les populations noires ne sont pas pour autant acceptées quotidiennement. Le système ségrégationniste instauré par les lois Jim Crow, de 1876 et 1964, prend peu à peu place dans la société états-unienne, particulièrement dans le Sud, où le racisme est devenu une pratique régulière. La haine interraciale et le racisme sont à leur apogée et les Afro-américains sont souvent victimes de lynchage par des organisations meurtrières comme le Klux Klux Klan. Le Gospel, tiré des mots God (Dieu) et Spell (parole) et qui signifie « Evangile » en anglais, devient alors une arme phare pour la révolte contre cette Amérique ségrégationniste. Il permet de chanter la souffrance pour mieux la dénoncer. A partir des années 1930, les Afro-américains ne supportent plus ce système déshumanisant et sous l’impulsion de Martin Luther King Jr. ou encore de Malcom X, ils vont manifester pacifiquement contre leurs conditions de vie misérables. Le Gospel est alors utilisé pour véhiculer les discours des leaders. Bruno Chenu nous rapporte qu’ « Andrew Young, compagnon de King, a commenté ainsi le rôle de la musique dans cette épopée moderne : « D’une façon ou d’une autre, à travers la musique, nous avons découvert un grand secret : à savoir que le peuple noir, autrement intimidé, découragé et affronté à d’innombrables et insurmontables obstacles, pouvait transcender toutes ces difficultés et forger une nouvelle détermination, une nouvelle foi vigoureuse, fortifiée qu’il était par le chant… La musique était le don que les gens se faisaient à eux-mêmes, un réservoir sans fond de puissance spirituelle ». Les chants, pour Luther King, avaient une place toute particulière dans cette révolte pour le respect, ils étaient « l’âme du Mouvement » et se terminaient toujours sur une note d’espoir. Le Gospel devient alors une arme politique et sociale qui a permis à des milliers de personnes de chanter leur douleur, leur espoir et le rêve d’un monde nouveau.

Plus technique, le Gospel, comme toute entité musicale, se différencie des autres genres par des caractéristiques bien particulières. En plus d’être issu de l’église chrétienne, il se chante sous la forme de « quartets » vocaux qui restent le phénomène le plus populaire de ce chant. Le quartet est composé de deux ténors, un baryton ainsi qu’une basse. Cette polyphonie a la particularité de faire intervenir une voix au-dessus de la mélodie. Le soliste amène le chœur dans ses sollicitations mélodiques et porte la dynamique du groupe. Les quartets ou quartettes dominent la scène jusqu’aux années cinquante et seront alors le véhicule privilégié du Gospel moderne. Ce dialogue chanté entre un prêcheur et un chœur mixte, a pour but de faire interagir la foule des fidèles qui n’hésitent pas à montrer leur enthousiasme en claquant des mains et en chantant avec le chœur. L’assistance se laisse alors emporter par le chant et permet ainsi l’effusion de l’Esprit Saint ainsi que la propagation de certaines transes ou cris, renvoyant au shoot. L’autonomie des voix les unes par rapport aux autres, est une des caractéristiques qui plaisent le plus aux adeptes du Gospel. La danse a aussi toute son importance. La religion africaine a été définie par Alfred Métraux comme « une religion dansée » qui permet à l’homme de faire sortir ses émotions et de se purger de toutes douleurs. Ainsi, il « médiatise ses émotions profondes, communie à l’énergie universelle, vibre à la longueur d’onde du monde spirituel », d’après Bruno Chenu. En Afrique, la danse est présente dans chaque moment important de la vie et permettra lors de la traite des esclaves de tisser des liens entre esclaves de tribus différentes. Elle naît du chant et chaque croyant se laisse transporter par elle.
Enfin, en ce qui concerne le succès de ce chant, le Gospel ne s’attendait sûrement pas à une telle renommée. Face à cette effervescence, un véritable « showbizz », un marché du Gospel, s’est développé avec des firmes discographiques spécialisées, ses radios et ses programmes de télévision. Dans les années 1930, de nombreux groupes musicaux deviennent à la mode comme les Spirit of Memphis ou les Sensational Nightingales qui combattent le racisme.
- Sister Rosetta Tharp
Thomas A.Dorsey s’est, quant à lui, occupé de la renommée des femmes dans ce milieu particulièrement machiste. Les Staple Singers, un groupe féminin très en vogue, prennent alors leur envol à cette époque et s’adonneront plus tard à la soul music. La première star solo du Gospel reste Sister Rosetta Tharpe (1921-1973). Surnommée la « Godmother of Rock ’n’ Roll », elle est la première à mélanger le Blues, le Gospel ainsi que des rythmes rocks. Les deux figures populaires qui, elles, ont réussi à s’inscrire dans la culture mondiale, demeurent Aretha Franklin qui servira toute sa vie le répertoire religieux et James Brown qui préférera se tourner vers le combat pour la liberté. Aretha est considérée aujourd’hui par le magazine Rolling Stone comme la meilleure chanteuse de tous les temps. Les artistes participent alors à une évolution des rapports entre blanc et noir et décrivent également les réalités quotidiennes. Aujourd’hui, le Gospel ne cesse d’être réinventé par des grandes chanteuses lyriques comme Jessye Norman ou Barbara Hendricks qui interprètent aussi bien du Gospel que du Negro Spiritual.

Le Gospel, comme vous l’aurez compris, n’est pas un simple chant religieux qui rassemble des fidèles tous les dimanches. Au contraire, il a, du fait de ses particularités et ses vocations émancipatrices, su s’imposer dans l’esprit de toute la population afro-américaine. Il s’est même exporté hors des frontières de la communauté noire et est maintenant connu d’une grande partie de la population mondiale. Il a tantôt été un chant religieux qui a permis aux esclaves de se retrouver, tantôt une arme pacifique contre le racisme et l’intolérance des Etats-Unis. A travers toutes ces manifestations musicales, c’est une identité communautaire qui s’est construite à travers les siècles. Si le Gospel participe à la mobilisation du peuple noir à la recherche d’un minimum de considération, il permet encore plus largement de rendre compte de la véritable odyssée de la communauté afro-américaine.
M-B. P
Quelques chansons de Gospel:
– Sister Rosetta Tharpe “He’s got the whole wordl in his hands”
http://www.ina.fr/video/I06024777/sister-rosetta-tharpe-he-s-got-the-whole-wordl-in-his-hands-video.html
– Clara Ward Singers “Let us all go back”
http://www.ina.fr/video/I07198778/clara-ward-singers-dans-un-gospel-video.html
– Aretha Franklin – “I Said a Little Prayer”
https://www.youtube.com/watch?v=STKkWj2WpWM
– Sister Act 2 – “Oh, Happy Day”
https://www.youtube.com/watch?v=Pr7wcHTzcTg
Sources :
Chenu, Bruno. Le grand livre des Negro Spirituals: Go down, Moses! Paris: Bayard, 2000.
Histoire de la musique noire-américaine.
http://musique-noire-americaine.e-monsite.com/pages/ii-de-l-arrivee-des-esclaves-aux-premiers-accords-de-blues/le-gospel.html
Le Gospel.
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/gospel/
Les musiques afro-américaines.
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/musiques-afro-americaines/?tx_eu%5Bpop%5D=true
Negro Spiritual et Gospel.
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/negro-spiritual-et-gospel/?tx_eu%5Bpop%5D=true
Un commentaire sur « Le Gospel, entre religion et résistance »