Le banquet de Cléopâtre : comment la reine d’Egypte impressionna Antoine avec une perle

Les banquets dans l’Antiquité repoussent les limites de notre imagination. Fastes et réjouissances sont toujours de mise dans ces réceptions qui, souvent, ont un caractère politique. Ceux organisés par la séduisante reine d’Egypte ne font pas exception. Ils représentent les plus belles manifestations de la richesse et du luxe de son royaume.

Roberto Bompiani, Un banquet romain, Fin XIXe siècle

Rappelons qu’à la mort de César, son amant, Cléopâtre cherche une nouvelle alliance avec Rome pour protéger son trône. Ainsi entre en scène Antoine, qu’elle rencontre lors de la bataille de Tarse en -41. Le général la rejoint dans sa galère royale, longeant le fleuve Kydnos, et découvre l’Egyptienne « parée des atours de la déesse Vénus, étendue sous un baldaquin passementé d’or, tandis que, de chaque côté de sa couche, des éphèbes l’éventent avec des plumes d’autruche »*. Quelle classe…

Ainsi, tous les moyens sont bons pour impressionner le général et séduire son nouvel amant. Une anecdote racontée par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle illustre à merveille les somptueuses mises en scène de Cléopâtre, déterminée à faire chavirer le cœur du beau Romain au cours d’un fastueux banquet.

Pline l’Ancien, dans l’encyclopédie de Cesare Cantù de 1859, Bibliothèque du Congrès (Etats-Unis)

En voici l’histoire…

Alors que la fête bat son plein, Cléopâtre se vante auprès d’Antoine, qui « lui demanda ce qu’on pourrait bien ajouter à cette magnificence », de pouvoir débourser dix millions de sesterces en un seul repas. Rien que ça! Le pari est donc lancé : la reine parviendra-t-elle à prouver la supériorité de la richesse de son peuple ?  

Evidemment, Antoine doute que cela soit possible, aussi riche et déterminée soit-elle. C’est cependant mal juger l’intelligence de la fille de Ptolémée XII… Il faudra toutefois attendre le banquet du lendemain pour que le verdict soit rendu. Pour l’heure, le soleil se couche avec la promesse de l’Egypte d’éblouir Rome.

Elizabeth Taylor interprétant le rôle de la reine dans le film Cléopâtre,
réalisé par Joseph L. Mankiewicz  en 1963

Le lendemain, ledit banquet est organisé, avec un dîner aussi “magnifique” que les précédents. Alors qu’Antoine exige les comptes du repas, Cléopâtre lui affirme que ces mets exquis ne sont là que pour lui faire plaisir, et qu’il ne s’agit nullement du support aux dix millions de sesterces. Elle va même jusqu’à lui affirmer que les dix millions de sesterces serait ce qu’elle mangerait à elle seule. Sur ces mots pleins de vanité, elle ordonne que soit servi le second service.

A la surprise d’Antoine, les serviteurs, censés apporter un service à en faire rêver les rois les plus riches du monde antique, ne posent sous les yeux de la reine qu’un vase rempli de vinaigre. Sous les yeux ébahis du Romain, Cléopâtre porte ses mains à son oreille et y détache la perle qui y pendait. Pline nous raconte à son sujet qu’il s’agit, avec celle ornant l’autre oreille de la reine, des deux plus grosses perles que le monde n’ait jamais connues, après avoir été la propriété des rois successifs d’Orient. Il explique en effet qu’elle porte « aux oreilles cet ouvrage le plus extraordinaire et véritablement unique de la nature ». Après donc avoir ôté la perle devant le visage perplexe d’Antoine, elle plonge le bijou dans le vinaigre dont la puissance le liquéfie. La force de ce liquide est en effet bien connue dans l’Antiquité, si bien qu’il est utilisé par Hannibal pour couper les rochers lors de sa célèbre traversée des Alpes:

« Ensuite, on amena les soldats pour aménager le rocher à travers lequel passait la seule voie possible. (…) on y mit le feu et on putréfia la roche en y versant du vinaigre. »

Tite-Live (XXI. 37,2)

Une fois la perle dissoute, Cléopâtre saisit le verre et boit d’une traite son contenant. Et tandis qu’elle s’apprête à renouveler son geste avec la seconde perle, le juge du pari, Lucius Plancus, déclare qu’Antoine est vaincu par la grandeur de la belle Cléopâtre.

Jacob Jordaens, Le Banquet de Cléopâtre, 1653, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

Vous êtes probablement curieux de savoir ce que l’Histoire réserve à la seconde perle. Eh bien vous serez surpris d’apprendre qu’elle tient un rôle symbolique lors de la capture de la reine par Octave. La perle est en effet coupée en deux et attribuée à la statue de Vénus au Panthéon de Rome, pour qu’elle puisse porter aux deux oreilles « la moitié du dîner d’Antoine et de Cléopâtre ».


*Gilbert Sinoué, 12 femmes d’Orient qui ont changé l’Histoire, p58.


Sources:

Maria Teresa Schettino, “La boisson des dieux. À propos du banquet de Cléopâtre”, Dialogues d’histoire ancienne, vol. 32, n°2, 2006. pp. 59-73.

Pline, Histoire naturelle (extrait du livre IX : Cléopâtre et les perles.), Traduit du latin par Stéphane Schmitt.

Robert Halleux, “Sur le prétendu vinaigre employé par Hannibal dans les Alpes”, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 151ᵉ année, N. 1, 2007. pp. 529-534.

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