*** Contribution extérieure***
« Allez, allez, on se rassemble et on vient autour de moi ! Vous faites tous partis du groupe pour la visite guidée, n’est-ce pas ? J’espère que vous êtes en forme parce que la visite que je vais vous proposer maintenant est digne d’un marathon. Non je rigole ! Quoique… on comptera les pertes en fin de journée. Bah oui, figurez-vous que la Basilique dei Frari de Venise, cette beauté que vous avez devant vous, ne se parcoure pas n’importe comment. Chaque recoin a sa particularité et relate plus de huit siècles d’histoire !

Je me présente, je m’appelle Marie-Belle et je serai votre guide pour l’heure qui suit. Et bien sûr, si vous avez des questions, vous n’hésitez pas, je suis là pour ça après tout.
Bon, ne perdons pas plus de temps et commençons d’abord par l’extérieur. Vous vous trouvez au centre même de Venise, dans le quartier de San Polo, sur la place Campo dei Frari. Là, si vous êtes face à la façade, le Rio dei Frari coule derrière vous et vous avez sûrement emprunté pour venir ici le pont construit en 1428 par les Frères Mineurs. Qui sont-ils ? Je vais vous le dire, un peu de patience, je place le décor et après je m’occupe du contexte. Sur votre droite, vous avez l’entrée des Archives d’Etat qui était autrefois le grand couvent des Frari. À votre gauche, les bâtiments abritaient les sièges de confréries qui se formèrent autour de la Basilique. Imaginez un peu ce lieu, plein de vie et de pouvoir qui devient rapidement le centre d’influence de la vie culturelle et religieuse.
Alors maintenant que vous savez un peu mieux où vous êtes, je vous propose la minute Histoire. Arrêtez-moi, hein, si vous ne comprenez pas quelque chose !
Commençons au XIIe siècle. Nous sommes en Ombrie, en Italie, où naît un nouveau mouvement religieux. Un petit Italien, né à Assise commence à faire parler de lui. Ah, je vois déjà des sourires dans l’assemblée. Vous savez sûrement de qui je parle ! Saint François d’Assise, évidement. Issu d’une riche famille, il se rend vite compte que cette opulence ne lui plaît pas et décide de passer sa vie à aimer toute la création en vivant selon l’Evangile. Il devient le plus pauvre de tous et tente de porter la paix autour de lui. De nombreux fidèles s’intéressent à ce mouvement basé sur la simplicité. Naît alors l’ordre des Frères Mineurs qui, sous l’influence de Saint François d’Assise, voyagent et apportent le message de Dieu. On finira par les appeler les Franciscains. Vous me suivez toujours ? Si je vais trop vite, vous me dites hein ? J’essaye quand même de passer des siècles d’histoire, tout ça en quelques secondes… Nous voilà maintenant en 1225 où ces Frères Mineurs arrivent sur Venise. Le Doge Jacopo Tiepolo leur fait don d’un terrain pour construire une église et un couvent dédiés à la Vierge Marie. Il faut savoir que les Franciscains font de la vénération de la Vierge Marie un trait principal de leur spiritualité. Le peuple décide alors de nommer l’église « S. Maria dei Frari » ou « église des Frari ». Comprenez par-là que Frari vient de Fra(ti mino)ri, c’est-à-dire les Frères mineurs.
Mais il faut à chaque fois agrandir l’église qui n’est jamais assez grande pour accueillir les foules qui affluent, conquises par la simplicité de ce message d’amour. Vers 1330, ils construisent enfin l’église que nous connaissons aujourd’hui. Les travaux se terminent en 1420 et le 27 mai 1492, l’église est consacrée à l’Assomption de la Vierge. Elle est renommée « Santa Maria Gloriosa dei Frari ». Pour les non-italophones, cela signifie Sainte Marie Glorieuse des Frari. Vous comprendrez à l’intérieur pourquoi la Vierge Marie est si importante.
Et mon histoire se termine en 1926 où le Pape Pie XI, à l’occasion du septième centenaire de la mort de Saint François, élève l’église à basilique mineure… AH ! Une question, je t’écoute jeune homme.
– Mais qui est l’architecte ?
– Très bonne question et la réponse va sûrement te décevoir. On ne connaît pas vraiment l’architecte principal de la basilique. Sûrement un des frères. Le seul pour qui on est sûr s’appelait Scipione Bon, le surintendant de la dernière période des travaux au XVe siècle.
Alors, maintenant que vous savez tout ça, parlons du sujet de notre visite, la beauté artistique de cette basilique. Non, je ne suis pas du tout influencée par mon amour que je lui porte.
Elle est un exemple classique du style gothique, un gothique franciscain qui évite toutes les frasques et les ornements lourds et disgracieux selon certains. Il n’y a que beauté, harmonie et des lignes pures et simples. Elle fait plus de 102 mètres de longueur et 32 mètres de largeur pour une hauteur de 28 mètres. Attention, ne pensez pas que les Franciscains avaient le goût du grandiose. Que nini. Si l’église est si grande, c’est pour accueillir les masses de fidèles qui accourent.
La façade est d’un style gothique, plutôt tardif. Le grand portail en ogive – attention on part dans les termes techniques ! – est un exemple de l’art gothique flamboyant vénitien avec ses colonnes et ses pilastres en faisceaux.
A gauche, la grande tour que vous voyez en brique et blanc est le campanile. Vous savez, comme celle qui se trouve sur la place Saint-Marc. Mais celui-là, en style roman ne mesure QUE 70 mètres et est le deuxième plus grand de Venise après celui de Saint-Marc. Pour votre culture, il a été construit par le Vénitien Jacopo Celega en 1361 et terminé par son fils en 1396.
Bon maintenant qu’on a bien attrapé froid, est ce que ça vous dit de rentrer et d’enfin voir cette merveille architecturale, décorée par les meilleurs artistes ? Oui ? Alors suivez-moi et surtout, ouvrez grand les yeux, la beauté est partout.

Pour faire simple, le plan de cette basilique est une croix latine. Il y a trois nefs divisées par douze piliers. Comme vous le voyez, la nef centrale est bien plus grande que les autres. Il y a aussi 7 chapelles en abside qui ferment le fond. Là, au milieu, l’ancien chœur des Frères Mineurs qui est le seul exemplaire qui se trouve encore à sa place d’origine. On dirait qu’il casse un peu le caractère monumental de l’église. Et au fond, vous voyez la magnifique « Assomption » du Titien. La Vierge Marie semble être la patronne de cette église ! Mais ça, on le verra dans quelques instants.
Continuons si vous le voulez bien par un chef-d’œuvre architectural et sculptural, le Monument de Canova, qui se situe sur votre gauche. Admirez, admirez un peu ce blanc affirmé, cette sobriété exaltante et ces symboles, tous à la mémoire du prodigieux Canova ! Savez-vous d’ailleurs que ce monument ne devait pas du tout être pour Canova de base ? Il l’avait dessiné à l’origine pour le Titien mais manque de soussous et donc impossible de le terminer. Canova meurt le 13 octobre 1822 et est enterré chez lui. Mais l’Académie, en grand maître, a voulu conserver son cœur dans une urne en porphyre, une roche volcanique rouge foncé. Et c’est le président de l’Académie, Leopold Cicognara qui a terminé ce monument pour Canova lui-même et qui a déposé le cœur en 1827. Ahhhh, dégueu, vous êtes en présence du cœur de Canovaaaa…
– Ouais mais bon, c’est qui Canova ?
– Ah oui, pardon, je me suis un peu emballée. Antonio Canova, né en 1757 et mort en 1822 à Venise, était un peintre et un sculpteur italien. Bon il est surtout connu pour ses sculptures avec ma préférée de toutes : « Psyché ranimée par le baiser de l’Amour » ! Elle me donne des frissons… Canova a toujours été attiré par la mythologie grecque et romaine et ses statues renvoient souvent à des beautés de l’Antiquité. Il a gagné plusieurs prix à l’Académie des Beaux-Arts de Venise et avait une grande générosité. Bon, je pourrai vous en parler pendant des heures mais, nous n’avons pas l’éternité devant nous ! Retour au monument. Sur cette immense pyramide, on y voit les figures féminines de la sculpture en pleurs, la peinture et l’architecture. Les trois génies qui suivent derrière avec leurs flambeaux allumés signifient que l’art ne connaît pas la mort ! Sur votre gauche, on voit le génie de Canova avec le flambeau éteint et le lion, symbole de Venise, affligé. Les deux anges au-dessus portent l’effigie de Canova entourée d’un serpent, symbole d’immortalité. Vous voyez, j’ai une grande considération pour ce bâtiment mais beaucoup ne comprennent pas pourquoi il est ici. Pour eux, il est trop froid et pas à sa place dans cette basilique. A chacun de faire son opinion.

Si vous vous retournez maintenant, vous avez en face de vous le monument du Titien. Bref rappel, Tiziano Vecellio ou Le Titien en français est né vers 1490 et mort de la peste ou de vieillesse en 1510. Sa forte personnalité et son talent le font venir à Venise où en 1516, il est nommé peintre officiel de la ville. Il devient portraitiste des princes et sa célébrité devient internationale. Il a peint pour les plus grands de l’Europe et apporta le style baroque dans la peinture. Il avait demandé à sa mort d’être enterré aux Frari qui gardaient sa dernière œuvre, « la Pietà » que l’on trouve maintenant à l’Académie.
Si vous êtes d’accord, comme on a déjà pris du retard sur le programme, on va avancer directement à la chapelle principale. Regardez, regardez comment tout est pensé pour que notre regard se termine sur « l’Assomption » du Titien ! Les lumières, les formes, les courbes, tout ce qui entoure le tableau se dirige vers la Sainte Vierge. Cette œuvre est considérée comme le trésor le plus précieux de la Basilique. C’est d’ailleurs la première chose que l’on voit lorsque l’on rentre dans cette église. Tout est pensé pour elle. Sans cet ensemble, ce tableau ne serait pas aussi puissant et resplendissant. C’est d’ailleurs le Titien qui profita de cet édifice pour faire ressortir son œuvre et utilisa sa connaissance des secrets des lumières et des couleurs pour la rendre si unique. Le tableau mesure 6, 68m sur 3,44 mètres et est placé dans la basilique le 19 mai 1518. Il est divisé en trois parties, les apôtres, la Vierge et Dieu. Dans le bas, ici, vous pouvez voir les apôtres qui représentent l’humanité. Ils sont surpris et émerveillés par l’événement qui se produit devant eux. D’ailleurs, qu’est ce qui se passe sur ce tableau ?
– MOI JE SAIS ! C’est la Vierge Marie qui est enlevée de la vie terrestre par Dieu pour entrer dans le monde céleste du Seigneur.
– Je n’aurais pas dit mieux, bravo ! Maintenant, revenons à nos apôtres, si vous voulez bien. Il y a Saint Pierre qui est agenouillé et les mains tendues vers les cieux. Puis Saint Jean aussi, avec sa main gauche sur la poitrine ou encore Saint Thomas, qui montre la Vierge du doigt, et enfin Saint André, en tunique rouge et tendu vers le ciel. Puis nous voilà au centre où la Vierge semble peser le poids d’une plume et se dirige tranquillement vers le Père. La lumière divine l’accompagne avant de devenir le ciel et les anges semblent l’acclamer ! Avé Vierge bénie ! Avé !

Et en haut, le père éternel, tranquille et bienveillant. Son regard, qui renvoie tout l’amour qu’il peut porter à ses fidèles, accueille la Vierge sereinement. Le triangle rouge que l’on aperçoit sur ce tableau nous invite ainsi à rejoindre le haut et marcher toujours vers le Seigneur, avec cette lumière source de joie et de vie. Il est dit d’ailleurs que Le Titien se serait inspiré de la lumière des montagnes de son lieu d’enfance en plus de la lagune vénitienne. Pour Canova, vous avez en face de vous, « le plus beau tableau du monde ».

Maintenant, retournez-vous et prenez le temps d’admirer ce phénomène boisé. Ce chœur unique est le chef-d’œuvre d’une famille de sculpteurs sur bois, la Famille Cozzi de Vicence, connue à Venise pour d’autres travaux. Haut de 4,50 m, large de 13,70m et long de 16m, vous pouvez apercevoir 124 stalles. Les stalles du haut sont plus précieuses et présentent 50 personnages bibliques, inspirés du style gothique allemand. Les panneaux inférieurs sont en marqueterie qui est un assemblage décoratif de pièces de bois précieux.
Sur la droite de l’Assomption, se trouve la Chapelle Saint-Jean-Baptiste où il y a l’unique statue en bois de ce saint, faite par le grand maître florentin Donatello en 1438. Avec sa peau de hirsute et son manteau sur les épaules, Saint Jean Baptiste semble encore garder toute sa force dans la vitalité de son regard et son bras levé.

Et enfin, pour terminer la visite parce qu’on ne peut malheureusement pas tout faire, sinon, on y serait encore demain, je vous propose d’en prendre plein les yeux avec l’Autel des reliques, par ici, sur votre droite, après avoir rejoint la sacristie. Ce riche autel baroque renferme la plus célèbre relique de Venise, la relique du Précieux Sang du Christ. Bon, chacun dira ce qu’il voudra mais dans ce vase en cristal, Marie-Madeleine aurait recueilli sur le corps du Christ du baume auquel se seraient mélangées quelques gouttes du sang de Jésus. L’histoire de cette relique continue à Constantinople où elle fut particulièrement vénérée à l’église Sainte-Christine. Mais elle tomba entre les mains de Melchiorre Trevisan, le commandant de la flotte de Venise qui l’offrit aux Frari en 1479. Depuis, à chaque dimanche de la Passion, la relique est portée en procession.

Bon malheureusement, la visite touche à sa fin et je crains de vous perdre en majorité si je continue mon blabla incessant… Si quelqu’un a une question, qu’il parle maintenant ou qu’il se taise à jamais ! Oui ?
– Qu’est ce que vous nous conseillez d’autres à visiter dans la Basilique ?
– Ah, parfait comme conclusion ! S’il vous reste encore un peu de motivation, vous pouvez aller voir le monument du Doge Giovani pesaro, une puissante et noble famille, construit en 1669 ou admirer une autre œuvre du Titien, la Madone de Ca Pesaro, chef-d’œuvre de virtuosité. Les orgues aussi montrent à quel point la musique est importante dans l’édifice. Je vous invite aussi à aller visiter le couvent des Frari, cet ancien centre de sainteté, de foi, de science et d’art et vous balader dans le Cloître de la Sainte Trinité dessiné par Andrea Palladio et réalisé après sa mort en 1589. D’ailleurs, pour la dernière anecdote, lors de la grande sécheresse de 1718, le puits qu’abritait le cloître fut le seul qui ne s’assécha pas.

D’autres questions ? Non ? C’est que j’ai dû être assez claire !
Bon bah voilà, c’est la fin de la visite, je vous remercie d’avoir choisi mes services et espère vous avoir assez éclairé sur cette basilique aux mille et une histoires ! N’hésitez pas à la revisiter, vous serez toujours surpris par de nouveaux détails. Parlez-en autour de vous, la basilique Santa Maria dei Frari mérite d’être connue ! Belle journée. »
Marie-Belle Pargeshian
* Malheureusement, certaines photos de cette visite ont été perdues. Les photos suivies d’une astérisque proviennent d’une source extérieure.
Merci pour cette présentation qui met en valeur le caractère exceptionnel de ce monument. Ah, si j’avais eu cette précieuse guide dans le passé!
Et oui, désormais, grâce à ce bijou que tu nous offres en cadeau à distance, je ne manquerai pas de le visiter la prochaine fois que j’irai à Venise.
Voilà que maintenant j’hésite à proposer mes services pour être guide !
Il y a tant d’autres choses à découvrir dans cette basilique que tu ne pourras pas être déçu.
Merci pour ton commentaire encourageant, c’est toujours un plaisir.
Nous te souhaitons alors un prochain merveilleux voyage à Venise !