Ce bon vieux Dagobert a-t-il réellement mis sa culotte à l’envers ?

En faisant le tri dans la bibliothèque, j’ai retrouvé un livre pour enfants exposant les paroles de chansons gondolantes telles que celle du légendaire bon roi Dagobert. Curieuse que je suis, je me suis posée une question qui n’avait auparavant jamais effleuré mon esprit : Dagobert a-t-il réellement mis sa culotte à l’envers ? Question qui a son importance car si tel est le cas, c’est quand même tendu pour l’arrière-arrière-petit-fils de Clovis…

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Imprimerie Pellerin, Le roi Dagobert, 1843, Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille, ©RMN-Grand Palais

Toujours à l’affut d’une nouvelle anecdote croustillante, je me suis ainsi penchée sur l’origine de cette chanson qui, à première vue, porte sur un Mérovingien qui règne  sur l’Austrasie de 623 à 632 et qui devient roi des Francs de 629 à 639. Dagobert Ier, dont le nom signifie en langage franc « bonheur du jour », rêve de reconstituer le royaume de Clovis, son aïeul, et compte bien y parvenir avec l’aide de son fidèle serviteur, Eloi, à la fois argentier, ancien orfèvre et conseiller du roi. Je cite ce personnage car, si vous êtes de vrais adeptes de la chanson, vous aurez remarqué que le grand Saint Eloi est présent dans chaque paragraphe, comme l’atteste celui-ci :

« Le bon roi Dagobert A mis sa culotte à l’envers ; Le grand saint Éloi Lui dit : Ô mon roi ! Votre Majesté Est mal culottée. C’est vrai, lui dit le roi, Je vais la remettre à l’endroit. »

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Dagobert Ier peint par Émile Signol au XIXème siècle (musée national du château de Versailles et de Trianon).

Bien que les Mérovingiens aient pour réputation d’être des rois fainéants, Dagobert fait de Paris sa nouvelle capitale et participe à la mise en place d’un régime pacifié, notamment par un traité de paix perpétuel avec l’empereur d’Orient, Héraclius, en 631. En outre, il centralise en son palais de Clichy la frappe des monnaies, participe à la création d’un régime modéré et mène une expédition afin de détrôner le roi wisigoth Svintila en 632. Ces éléments nous montrent donc le dynamisme de Dagobert qui fait de lui un roi respecté. Il n’y a donc aucune raison apparente que ce roi soit humilié par une telle chanson…

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Par ailleurs, Dagobert ne peut avoir mis sa culotte à l’envers puisqu’à son époque… la culotte n’existait tout simplement pas ! En effet, au Moyen-Âge, on ne portait pas plus de culotte qu’à l’Antiquité. La culotte évoquée dans cette chanson renvoie en réalité à une sorte de pantalon arrivant aux genoux qui fit son apparition à l’époque moderne auprès de la noblesse. C’est d’ailleurs en référence à cela que certains révolutionnaires se font appelés les sans-culottes, par opposition à la culotte courte portée par les aristocrates.

Mais la question demeure: si Dagobert n’est pas un roi qui mérité d’être moqué et si la culotte n’existe pas à son époque, pourquoi diable avoir créé cette chanson ?

La réponse se trouve dans la date de création de cette dernière. En effet, Le Bon Roi Dagobert tire son origine des années 1750-1800, soit aux alentours de la Révolution Française. Tiens, tiens… Comment expliquer la ridiculisation d’un Mérovingien à l’époque où Louis XVI, soit un Bourbon, est au pouvoir ? La raison est simple : nous savons tous à quel point le règne de Louis XVI était contesté et ô combien ce souverain suscita la haine de son peuple. Il apparaît donc banal que des chansonnettes de la sorte voient le jour à son sujet. Remplacer ce roi moderne par un Mérovingien leur permettait de laisser intacte le nom des Bourbons et de ne subir aucune répression. En effet, les scélérats à l’origine de la chanson auraient pu être accusés d’avoir commis le crime de lèse-majesté, représentant une atteinte à la souveraineté. Vivement contestée à l’époque des Lumières, la punition de ce crime pouvait aller très loin, jusqu’à la mort… Il semblait donc préférable, si l’on tenait à la vie, de mentionner Dagobert, d’autant plus que son nom rime avec « envers » ( une pierre deux coups) !

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Imprimerie Charles Pinot et Sagaire, Le roi Dagobert, XIXe siècle, Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille, ©RMN

Le mystère étant dorénavant révélé, nous savons que Le Bon Roi Dagobert est une chanson portant non sur la couardise et la maladresse de Dagobert, mais bien sur le fameux Louis XVI qui, en réalité, perdit sa tête et non sa culotte !

 

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