Le pouvoir des fleurs et le jardin du royaume de France au Moyen Âge

Il est difficile de résister à l’image poétique à laquelle renvoie la fleur, faisant écho à un temps idéal symbolisé par un éternel renouveau. Dans l’Antiquité romaine, les Métamorphoses d’Ovide parlent d’un âge d’or où « le printemps était éternel, et les zéphyrs paisibles caressaient de leurs souffles tièdes les fleurs nées sans semences ».

Villa d’Ariane : Le Printemps ou Flore, Pompéi, 45 ap J.-C, RMN-Grand Palais / Luciano Pedicini

Dans la tradition chrétienne, la fleur sera également très tôt rapportée au temps éternel, notamment chez le poète Dracontius qui place Adam et Eve « au milieu des fleurs et des vastes bosquets de roses ». A la suite de Saint Ambroise qui assimile au IVe siècle la rose au sang du Seigneur, un poète du XIVe siècle évoque, quant à lui, la rose du sang provenant de la chair du Christ.

Au Moyen Âge comme dans l’Antiquité, des jonchées de fleurs viennent par ailleurs orner les sols de leurs magnifiques pétales pour les célébrations royales et religieuses.

Un roi et son hôtel en voyage. Miniature du XVe siècle, Livre d’heures du grans Alexandre de Macédoine. © BnF

Cependant, la fleur qui orne majoritairement la ville lors de ces festivités est bien entendu le lys. Renvoyant à la vertu chrétienne de pureté et à la Vierge Marie avant de devenir une projection de la royauté, l’armoirie des fleurs de lys est définitivement adoptée dès le règne de Louis VII. La prononciation de « fleur de Loys » donna d’ailleurs, avec le temps, l’appellation « fleur de lys » (la fleur en question étant en fait l’iris).

Alors que les fleurs de lys sont à l’origine semées en ordre indifférent, l’écu à trois fleurs, dont le chiffre renvoie à la Sainte Trinité, apparaît dès 1228 et devient systématique à partir de Charles V, bien que les branches cadettes portent le semé jusqu’à la seconde moitié du siècle suivant. Tout comme le nombre de fleurs de lys est soigneusement pensé, les couleurs de ces écus ne sont pas choisies au hasard ; tandis que l’or souligne la permanence de la royauté et son caractère sacré, l’azur, couleur royale, renvoie à la couleur du ciel et, de fait, au royaume de Dieu.

La représentation des anges aux côtés de l’écu royal n’est donc pas sans intérêt. Elle renvoie en effet à la légende née vers 1350 qui en explique l’origine historique. D’après celle-ci, l’ange de Dieu apporta les lys à Clovis avant la bataille de Tolbiac. Conférant à la royauté le soutien divin, l’entourage de Charles V participa grandement à la diffusion de cette légende, entraînant ainsi la forte représentation de la fleur de lys dans de nombreux supports artistiques, à l’instar des miniatures et gravures, mais aussi des spectacles publics.

L’importance du lys et de cette légende est telle que les Anglais tentent de se l’approprier, en particulier à l’heure où le couronnement d’Henri VI nécessite une politique de légitimation.


Pour ceux qui ne sont pas familiers avec ce personnage, un petit nota bene s’impose : alors que la Guerre de Cent Ans oppose les Français aux Anglais, le Traité de Troyes de 1420, signé par le roi Charles VI et son épouse Isabeau de Bavière, stipule que le trône de France reviendrait aux Anglais à la mort du roi, au détriment de leur fils Charles. A la mort donc de Charles VI, le jeune, ou devrais-je dire très jeune, Henri VI d’Angleterre (qui n’a alors que neuf ans) se proclame roi d’Angleterre et de France. Mais c’était sans compter les fervents défenseurs du dauphin Charles et la brave Jeanne d’Arc qui, débarrassant Reims de l’occupation anglaise, lui permet d’être sacré officiellement roi de France dans la cathédrale, comme le veut la tradition. Les Anglais sont donc dans l’embarra… Il faut agir au plus vite, se dit le duc de Bedford, oncle du petit Henri VI et régent durant sa minorité.


Offert par le duc de Bedford à son neveu Henri VI le 24 décembre 1430, soit quelques mois seulement après le sacre de Charles VII à Reims, le Livre d’heures de Bedford comprend à la fin de l’ouvrage une miniature présentant, comme l’indique le bas de la page, « Comment Nostre Seigneur, par son ange, envoya les trois fleurs-de-lys d’or et un escu d’azeur au roy Clovis » . Oui, c’est bien une tentative d’appropriation de la légende royale.

Maître de Bedford et son atelier, Légende
des Fleurs de Lys, Livre d’heures de Bedford
,
enluminure, début XVe siècle, ms 18850 fol.288v,
Londres, British Library

Cette miniature a de cela d’intéressant qu’elle montre l’origine de cette légende et le caractère sacré du lys, plaçant, sur la partie haute de l’image, un ange recevant de Dieu un drapeau bleu arborant trois fleurs de lys. Ce drapeau est ensuite remis à sainte Clotilde par un ermite, comme le montre l’espace gauche de l’illustration. Enfin, le centre de l’enluminure présente Clovis, à l’intérieur d’un édifice, prenant des mains de son épouse un écusson d’azur fleurdelisé d’or.

La fleur royale constitue donc un motif fondamental dans les enluminures ou encore lors du revêtement de la ville en ces jours de fêtes, signifiant poétiquement le triomphe du roi en son royaume. Ce n’est évidemment pas sans rappeler l’image du royaume de France sous forme de jardin où, au milieu de parterres de fleurs, fleurit le lys du roi. Deux très belles enluminures, datant de la deuxième moitié du XVe siècle et issues toutes deux de manuscrits des Chroniques abrégées des rois de France. Chronique de Charles VI de Guillaume de Nangis, expriment cette conception du royaume au crépuscule du Moyen Âge.

Au milieu d’un jardin clos, représentant l’axe central de l’enluminure, jaillit un très grand lys blanc sur lequel deux anges accrochent, au niveau de la tige, un écu de France couronné. Huit personnages sont assis de part et d’autre de la fleur, parmi lesquels Charlemagne et Saint Louis sont reconnaissables, signifiant ainsi l’attachement de la monarchie française à ce symbole.

Maître du Michault Le Peley, Chronique abrégée des rois de
France. Chronique de Charles VI, Guillaume de Nangis, enluminure,
vers 1475-1480, ms. fr. 2598, Vers 1475-1480, Paris, BnF
Maître du Michault Le Peley, Chronique abrégée des rois de
France. Chronique de Charles VI, Guillaume de Nangis, enluminure,
2e moitié du XVe siècle, W. 306 fol. 4, Baltimore, Walters Art Gallery

Le symbole de la tente, présente sur l’enluminure à droite, n’est pas non plus anodin. Comme le souligne Marie-Thérèse Haudebourg dans son ouvrage Les jardins du Moyen Âge, « (…) la tente est un des symboles les plus riches du jardin médiéval : elle représente à la fois la puissance protectrice du roi et la force guerrière des armées en bataille. On doit la rapprocher du manteau royal et du temple de toile dans lequel les Hébreux ont célébré le culte de Dieu durant l’Exode« .


Cette image du royaume comme un espace verdoyant et fertile devient très vite populaire, notamment grâce à l’engouement du XIIe siècle pour la littérature antique, utilisée comme un véritable puit d’inspiration. Du jardin d’Eden au jardin païen de l’âge d’or, le monde médiéval a su faire éclore l’idée d’un temps idyllique et fleuri rendu possible par la monarchie française grâce à son association avec le lys, dont la double symbolique renvoyant d’une part à la royauté et d’autre part à la Vierge Marie place ce royaume-jardin sous l’élection divine. Ainsi apparaît, à l’aube du XIVe siècle, la description de ce beau jardin de France :

« En toute chose je plains

Le beau jardin de grâce plein

Où Dieu par espaciauté

Planta le lys de royauté…

Tel jardin fut à bon jour né

C’est le jardin de douce France. »

— Gervais du Bus, cf. n. 14, t. 2, p. 115 (cité par Colette Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard , 1985, p.318).

Le lys apparaît donc comme un élément non négligeable dans la conception médiévale du royaume en tant que jardin, et sa présence prend tout son sens dans les enluminures ou dans les décoration de l’entrée royale où tout doit orienter vers la louange du roi. De ce beau jardin fleuri, le roi est le jardinier : il fait éclore les vertus comme le printemps fait éclore les fleurs. Développant un parallèle entre le jardin de France et le jardin de Dieu dans un sermon, Jean de Gerson, théologien et homme politique du XIXe et XVe siècle, affirme qu’il faut se rassembler autour du roi « afin que les lys croissent ». L’entourage des souverains de France s’approprie ainsi des symboles qui développent dans l’imaginaire collectif l’idée d’un jardin fertile, lieu d’abondance et de paix, autour du roi.


Sources :

Colette Beaune, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard, 1985.

Charles Joret, La rose dans l’antiquité et au Moyen âge: histoire, légendes et symbolisme, Wentworth Press, 2018.

(François Avril, Nicole Reynaud, Les manuscrits à peintures en France. 1440-1520, Paris, Flammarion-Bibliothèque Nationale, 1993.

Hélène Olland, « La France de la fin du Moyen Âge : l’Etat et la Nation (Bilan de recherches récentes) », Médiévales, n°10, 1986.

Laurent Hablot, « Caput regis, corpus regni : la représentation royale à travers l’exposition du heaume de
parement à la fin du MoyenÂge », Actes du colloque « politique et histoire à la fin du Moyen Age », en hommage à
Colette Beaune,
Paris, 2007.

Lecture de M. le comte Durrieu sur les souvenirs historiques dans les manuscrits à miniatures : de la domination
anglaise en France au temps de Jeanne d’arc
, Annuaire-Bulletin de la Société de l’histoire de France, Editions de
Boccard on behalf of the Societe de l’Histoire de France,vol. 42, n°1, 1905.

2 commentaires sur « Le pouvoir des fleurs et le jardin du royaume de France au Moyen Âge »

  1. Merci pour votre article, très intéressant ! En partage, je vous propose de découvrir ma série de dessins de fleurs en cours de réalisation : « Vanité », dont le rapport du GIEC est à l’origine : https://1011-art.blogspot.com/p/vanite.html
    Des fleurs médiévales à l’art contemporain … quelques changements sociétaux et environnementaux entre les deux !

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