La rentrée de septembre est un peu comme un 1er janvier. Elle signifie la nouvelle année, avec un nouveau travail, ou une nouvelle classe pour les plus jeunes. Pour certains, septembre est synonyme de nouvelle vie, avec une nouvelle coiffure, un nouveau style, voire une nouvelle voiture. Pour ma part, c’est un nouveau parfum. Et l’heureux élu est… Shalimar, de Guerlain.
Son odeur est tout simplement envoutante. Avec ses notes prédominantes de citron et de bergamote, Shalimar est un élixir raffiné et sensuel qui invite au voyage. Créé en 1921 par Jacques Guerlain, ce parfum n’a cependant pas tant laissé sa trace pour son odeur que pour l’histoire qui se cache derrière… En effet, si Shalimar a su conquérir Paris en 1925 à l’occasion de l’Exposition internationale des arts décoratifs au Grand Palais, c’est à la fois pour sa mélodie olfactive et pour sa forte charge symbolique.

Rendant honneur à la princesse Mumtaz Mahal, ce bouquet d’arômes nous amène en Orient, au bord de la rivière Yamuna dans la ville indienne d’Agra, où le Taj Mahal fut érigé entre 1631 et 1648.


Si vous connaissez l’histoire de ce somptueux mausolée, représentant un des plus magnifiques témoignages de l’art musulman en Inde, vous savez probablement qu’il fut construit sous l’impulsion de l’empereur moghol Shâh Jahân (dont le règne s’étend de 1628 à 1658), afin de rendre hommage à sa défunte épouse, Arjumand Bânu Begam.
Egalement connue sous le nom de Mumtaz Mahal, signifiant poétiquement « lumière du palais », Arjumand est née en 1593, à Âgrâ, au sein d’une famille d’origine perse. Elle était dotée d’une beauté saisissante qui, soulignée par les plus grands poètes de son temps, sut charmer le prince Shâh Jahân.
S’unissant à l’âge de dix-neuf ans à celui qui montera sur le trône de Paon quelques années plus tard, Mumtaz Mahal vécut avec l’empereur une véritable idylle (ce qui, vous me l’accorderez, est chose peu commune pour les têtes couronnées, en Orient comme en Occident). Elle aimait accompagner son époux dans ses déplacements militaires et ses visites diplomatiques, traversant à ses côtés les steppes d’Asie centrale formant l’Empire moghol depuis Gengis Khan. La passion de nos deux protagonistes fut cependant interrompue par la mort subite de Mumtaz, décédée durant l’accouchement de son quatorzième enfant en 1631. Anéanti par la perte de sa bien-aimée, l’empereur s’isola dans une pièce durant une semaine pour se recueillir. La douleur était telle que, selon la légende, le malheureux serait sorti de cette chambre avec les cheveux gris… La brutale séparation de l’empereur et de son épouse, ramenée trop tôt au ciel, ajoute ainsi à l’histoire une certaine note tragique, rendant son récit d’autant plus iconique. Voilà un conte digne d’un parfum d’une des plus illustres parfumeries parisiennes !

Teintée d’amour et de romantisme, l’histoire de Mumtaz Mahal séduit naturellement Jacques Guerlain (troisième parfumeur de la famille Guerlain), lorsque Justin Dupont, son ami chimiste, la lui raconte à son retour de voyage en Inde. Comme pris d’une soudaine illumination, Jacques va donc s’emparer d’un flacon de Jicky, alors parfum phare de la maison Guerlain, et y ajoute de l’éthylvanilline, une molécule de synthèse dont l’odeur s’apparente à celle de la vanille. Et c’est ainsi que voit le jour le parfum « shalimar ».

Mais une question demeure : pourquoi avoir choisi le nom de « Shalimar » ?
Shalimar est le nom donné aux jardins parfumés de Srinagar, de Lahore et de Kapurthala, construits par l’empereur Shâh Jahân et par son prédécesseur, l’empereur Jahângîr (régnant de 1605 à 1627). Ce nom, à la sonorité orientale, signifie en sanskrit « demeure de l’amour », illustrant dès lors l’intensité de la flemme qui unissait Mumtaz Mahal à Shâh Jahân. La forme du flacon en cristal de Baccarat, imaginée par Raymond Guerlain, serait d’ailleurs inspirée par la forme des vasques de ces somptueux jardins. Le flacon et le parfum sont désormais liés.


A l’instar de Chanel n°5, Shalimar reflète ainsi la transformation de la vision du parfum opérée dans les années folles. Aux côtés des plus grands parfums du XXe siècle, cette senteur a en effet emmené l’industrie du parfum au-delà du carcan de la science et de l’alchimie, à la lisière du rêve et du fantasmé.
Sources :
Nicolas de Barry, Maïté Turonnet, Georges Vindry, L’ABCdaire du parfum, Paris, Flammarion, 2006.
Eric Chaverou, Le Taj Mahal : symbole de l’amour qui suscite bien des haines, France Culture, 2019.
Elisabeth de Feydeau, Le roman des Guerlain. Parfumeurs de Paris, Flammarion, 2017.
Article original dans lequel on se cultive avec plaisir ! Bonne rentrée !
Merci infiniment pour votre commentaire, je suis ravie que l’article vous ait plu !
Bonne rentrée à vous également 🙂