L’Opéra Garnier sur les eaux tumultueuses du Second Empire

Je vais vous faire part aujourd’hui de mon amour pour l’un des bâtiments phares de Paris qui reste le plus somptueux des édifices de la capitale. L’Opéra Garnier n’a de cesse de me surprendre et il me semble que jamais je ne pourrai me désintéresser de sa beauté.
Peu de parisiens connaissent la véritable histoire de cet opéra qui semble avoir été posé là, sans trop savoir pourquoi. Certains ne savent même pas qu’il est possible de le visiter et emprunter ainsi la vie d’une bourgeoise du Second Empire, le temps d’une après-midi.

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            L’histoire de cet édifice relève de l’épopée et ce n’est pas sans difficulté que notre architecte Charles Garnier (1825-1898) est venu à bout de son projet.
Tout commence en janvier 1858, lorsque l’Empereur Napoléon III est visé par un attentat alors qu’il se rend rue Le Peletier pour voir un opéra. Des anarchistes italiens n’hésitent pas à lancer des bombes dans la foule qui entoure le carrosse. L’Empereur et son épouse, l’impératrice Eugénie, échappent de justesse à l’attaque qui fait huit morts et plus de cent cinquante blessés. Le lendemain même, toujours choqué par les évènements, l’Empereur décide de lancer la construction d’un nouvel opéra jugeant la rue Le Peletier bien trop étroite pour assurer sa sécurité. Il voit alors ce projet comme le nouveau lieu de rencontre de la haute société parisienne. Un concours est alors organisé et cent soixante et onze ambitieux architectes tentent leur chance. Parmi les concurrents, se trouvent de grands noms de l’architecture de l’époque comme Eugène-Emmanuel Viollet-Le-Duc, le Baron Haussmann ainsi que Charles Rohault de Fleury. Et pourtant, contre toute attente, ce sera un jeune architecte de trente-cinq ans, Charles Garnier, ayant pour devise « J’aspire à beaucoup, j’attends peu », qui se verra confier la construction du nouvel opéra de Paris. Haussmann ne porte pas le jeune architecte dans son cœur et lui propose alors un lieu dans Paris, difficile à appréhender. Le baron, qui avait déjà dessiné tous les plans du nouveau Paris, n’avait pas eu le temps de prendre en compte l’éventuel opéra et pour se venger de ce contretemps, laissa Garnier se débrouiller seul. En effet, la forme du terrain en losange à peine symétrique, fut assez contraignante pour un bâtiment qui normalement se construisait en longueur. De plus, les immeubles aux alentours furent montés plus haut que la hauteur fixée, cachant alors la splendeur de l’Opéra. L’architecte sera alors obligé de surélever son œuvre, entraînant des dépenses démesurées.
Les travaux débutent en 1861 et se termineront quatorze ans plus tard, le 5 janvier 1873. Il ne faut surtout pas blâmer le pauvre architecte pour ce retard. Celui-ci a su gérer « son » opéra en s’entourant des meilleurs architectes et artistes de son temps. Cependant, des évènements extérieurs se sont levés contre lui et lui ont donné du fil à retordre. Le premier obstacle qui s’est offert à lui, se trouvait être le sol du chantier. Le terrain s’est révélé être marécageux et pour éviter toute infiltration dans le sol, Garnier installa de toute urgence des pompes à vapeur qui plus tard furent remplacées par un cuvelage en béton. La cuve de 2 500 m² sert à présent d’entraînement de nos pompiers homme-grenouilles qui cohabitent avec les carpes. On retrouve d’ailleurs la mention de cette cuve dans plusieurs œuvres littéraires comme dans le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux. Cependant, sa version est erronée et ce réservoir d’eau n’est pas alimenté par la rivière de la Grande-Batelière qui se situe non loin de l’édifice. En plus de l’insalubrité du terrain, la période d’agitation de la guerre franco-prussienne et la chute du Second Empire en 1870, entraînèrent alors l’interruption des financements du chantier. La construction fut mise entre parenthèses et de nombreuses rumeurs annoncèrent l’abandon du projet. Mais trois ans après, l’Opéra le Peletier fut entièrement détruit par un incendie de vingt-quatre heures et face à l’absurdité de le reconstruire et le désespoir des Parisiens, les travaux de Garnier reprirent et l’Opéra fut officiellement achevé et inauguré en 1875 sous la Troisième République, en présence du Président Patrice de Mac-Mahon. Officieusement, Garnier continuera de l’améliorer durant toute sa vie avec l’aide de son ami, Gustave Eiffel et c’est seulement en 2011 que la dernière pièce de l’Opéra, le restaurant, sera inaugurée.

            Pendant l’occupation française lors de la Seconde Guerre Mondiale, l’Opéra devient un lieu stratégique pour les Nazis qui côtoient alors l’élite française et affichent ainsi leur sensibilité artistique. C’est en parallèle, un haut lieu pour la résistance où sont organisées des distributions de tracs antinazis ainsi que des évasions de prisonniers juifs.
A la fin des années 1980, François Mitterrand jugea la salle du Palais Garnier trop petite et fit alors construire un nouvel opéra, plus moderne et populaire, l’Opéra Bastille. Depuis son inauguration, l’Opéra Garnier partage le titre d’Opéra de Paris avec le nouvel opéra.

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            Malgré toute sa bonne volonté, Garnier n’aura donc pas réussi à finir l’Opéra avant la disparition de son commanditaire, Napoléon III, mort deux ans plus tôt. Il a cependant abouti à une merveille architecturale, prônant le style éclectique qui consiste à mélanger différents éléments empruntés à plusieurs courants architecturaux. L’historicisme[1], qui puise ses sources dans le passé tout en affirmant une part de rationnel, ainsi que le baroque, surprennent les visiteurs et amènent même l’impératrice Eugénie à s’exclamer : « Quel est donc ce style ? Ce n’est pas du grec, ni du Louis XV, ni du Louis XVI ! », ce a quoi aurait répondu Garnier : « Non, ces styles-là ont fait leur temps… C’est du Napoléon III ! Et vous vous plaignez ! »

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            A l’extérieur, la grande façade surmontée d’un dôme vert, se devait être alors le symbole d’un environnement de fêtes, marqué par les couleurs étincelantes des statues allégoriques de la musique. Le talent de l’architecte se retrouve surtout dans l’étonnante salle intérieure où se dresse un majestueux escalier de trente mètres de haut. Ce modèle à double révolution en marbre blanc et aux rampes polychromes fait tout le charme du bâtiment. Celui-ci permettait alors à la société parisienne de se montrer et d’être vue des différents balcons ouverts sur la salle et ainsi s’afficher aux yeux de tous. Pendant l’entracte, les spectateurs pouvaient se retrouver dans le « Grand Foyer », inspiré de la Galerie des Glaces de Versailles, surchargé de dorures, de miroirs, de lustres et de sculptures. Cette partie réservée dans un premier temps aux hommes, s’est progressivement ouverte aux femmes qui, à l’origine, restaient dans leur loge. Quant à la scène, elle prend la forme du traditionnel fer à cheval à la française, toujours dans la même intention de voir et d’être vu. Les 2 156 places de la salle, en font la salle d’opéra la plus vaste du monde à l’époque. Le lustre de huit mètres, équivalent à une maison de deux étages, est suspendu au plafond aux côtés de la peinture de Marc Chagall qui a décidé de rendre hommage à quatorze compositeurs et chorégraphes. Son œuvre a d’ailleurs créé une longue polémique à cause du décalage de sa peinture contemporaine avec le luxe et les dorures de la pièce. L’autre caractéristique du bâtiment qui plaira sûrement aux minéralophiles, est le décor de l’opéra, très minéral, qui regroupe une grande variété de pierres dures, toutes issues de carrières françaises, présentant alors une véritable collection minéralogique de l’Empire Français.

            Charles Garnier, malgré de nombreux contretemps et coupes budgétaires, a su relever un défi complexe et surprenant en réalisant un équilibre parfait entre la dorure et la pierre. Aujourd’hui, dans le souci constant de se réinventer, l’Opéra abrite depuis plus de vingt ans des ruches permettant aux petits rats de l’Opéra d’approcher les danseuses florales.

[1] Selon le site Encyclopædia Universalis, l’historicisme est une pratique fondée, en tout ou partie, sur la référence explicite aux styles historiques et sur le recours délibéré à des modèles, à des formes ou à des éléments empruntés soit à une « Antiquité » ou à un passé plus ou moins reculé, soit à la tradition nationale, soit encore à des cultures étrangères, sinon exotiques.

Sources

– L’Opéra de Charles Garnier, https://www.histoire-image.org/etudes/opera-charles-garnier
Consulté le 1 juillet.

– Palais Garnier – Visite – Découvrir le lieu, https://www.operadeparis.fr/visites/palais-garnier/decouvrir-le-lieu
Consulté le 2 juillet.

 

Marie-Belle Pargeshian 

4 commentaires sur « L’Opéra Garnier sur les eaux tumultueuses du Second Empire »

  1. Je crois que Garnier ne fut même pas invité à l’inauguration de l’Opéra, il dut acheter une place pour y participer. Avoir servi Napoléon III n’était pas du goût du gouvernement d’alors.
    Pascal

  2. Oui, c’est également ce que j’avais entendu dire lors d’une visite. Mais n’ayant pas pu trouver une preuve écrite, j’ai préféré garder cette insolite anecdote sous silence. Je crois même qu’il n’a pas été invité sous les ordres d’Haussmann, toujours jaloux de son succès. Comme quoi, la place de l’architecte favori du roi est une guerre sans pitié !

  3. La présentation entretient la curiosité pour ce bâtiment emblatique et mythique au’est l’Opéra Garnier. Cet article m’a laissé l’impréssion de rater ma vie à Paris si je ne me décide pas à le visiter et contempler personnellement la marveille de ses pierres et ses dorures fruit d’un architecte courageux!
    Merci à nouveau!

    1. Il y a encore tellement de choses à voir dans ce bâtiment ! Nous vous le promettons, vous ne serez pas déçu par la visite de l’Opéra. Merci à vous pour votre enthousiasme !

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