Le masque de fer – Jean-Christian Petitfils

L’homme au masque de fer est certainement le prisonnier le plus mythique de l’histoire de France. Comme l’a si bien dit Victor Hugo, il s’agit d' »un prisonnier dont nul ne sait le nom, dont nul n’a vu le front, un mystère vivant, ombre, énigme, problème« . De quoi attiser notre curiosité ! Il est temps de découvrir la vérité sur la fameuse légende qui fut, à maintes reprises, travaillée et romancée sous la plume de nombreux écrivains et historiens. Les seuls noms de Voltaire et d’Alexandre Dumas nous prouvent l’intérêt porté à ce prisonnier.

A défaut de pouvoir décrire et expliciter cette énigme dans ses moindres détails, je me contenterais de vous aiguiller vers l’ouvrage rédigé par l’historien Jean-Christian Petitfils et publié en 2004 chez Tempus Perrin car il représente, sans conteste, un dossier très complet sur le sujet.

Ce qui est intéressant dans cet ouvrage, c’est que l’auteur, grand connaisseur du XVIIe siècle, ne manque aucun détail, passant au peigne fin chaque élément susceptible de porter un intérêt à notre affaire. Chaque document est étudié, à commencer par le premier mentionnant l’existence d’un tel prisonnier à la Bastille : « Du jeudi 18e de septembre, à 3 heures après midi, M. de Saint-Mars, gouverneur du château de la Bastille, est arrivé pour sa première entrée venant de son gouvernemIMG_8656ent des îles Sainte-Marguerite et Honorat, ayant avec lui dans sa litière un ancien prisonnier qu’il avait à Pignerol, lequel il fait tenir toujours masqué, dont le nom ne se dit pas et, l’ayant fait mettre en descendant de sa litière dans la première chambre de la tour de la Bazinière en attendant la nuit, pour le mettre et mener moi-même à 9 heures du soir avec M. de Rosarges, un des sergents que M. le Gouverneur a amenés, dans la troisième chambre, seul, de la Bertaudière, que j’avais fait meubler de toutes choses quelques jours avant son arrivée, en ayant reçu l’ordre de M. Saint-Mars, lequel prisionnier sera servi et soigné par M. de Rosarges et que M. le Gouverneur nourrira » (page 20). Rédigé en 1698 par le lieutenant de roi à la Bastille, Etienne Du Junca, ce texte nous offre de précieuses informations ; nous savons la date d’arrivée de notre prisonnier à la Bastille (c’est-à-dire le 18 septembre 1698), qu’il suivait Saint-Mars dans ses déplacements, qu’il avait déjà connu les prisons de Pignerol, de Sainte-Marguerite et d’Honorat, qu’il portait constamment un masque et que l’on s’efforçait à dissimuler son nom.

Attardons-nous quelques instants sur le masque : nous trouvons en effet dans bien d’autres témoignages et écrits que le détenu était masqué, chose qui étonna fortement les soldats et officiers de la Bastille qui l’apercevaient chaque semaine traverser la cour de la prison afin de rejoindre la chapelle. Ainsi, de nombreux documents et témoignages semblent affirmer que le visage du prisonnier était caché par un masque, bien que la nature de ce dernier semble diverger d’un écrit à l’autre : alors que Joseph de La Grange-Chancel, ancien poète de la duchesse du Maine, évoque un masque de fer, Voltaire le décrit comme un masque à mentonnière avec des ressorts d’acier. D’autres encore, à l’instar de Jean-Louis Carra, écrivain révolutionnaire, et Victor Hugo, décrivent ce masque comme étant en velours noir.

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Gravure sur l’homme au masque de fer, 1798

Si notre homme semble avoir été forcé à porter un masque, il semblerait également qu’il ait disposé de bonnes conditions de vie dans les prisons dans lesquelles il vécut. En effet, Petitfils explique dans son chapitre portant sur les documents relatant cette affaire que M. de Saint-Mars était à son égard tout à fait respectueux et ne s’asseyait que lorsque le prisonnier l’y invitait. Aussi, le prisonnier disposait des plus beaux linges et des dentelles les plus fines. Il pouvait également lire et jouer de la musique. Hélas, ce n’est pas pour autant qu’il jouissait d’une belle vie. Nous l’avons dit, garder secrète l’identité de cet homme semblait être d’une extrême nécessité, le condamnant ainsi à se retrouver bien souvent seul.

Mais comment taire le nom de ce personnage tout en communiquant des informations le concernant? La réponse fut évidente pour Louvois, secrétaire d’Etat, puis pour son fils, Barbezieux, qui héritera de la charge de son père à la mort de ce dernier. Tous deux employaient des périphrases afin de parler de lui avec son geôlier Saint-Mars : « votre ancien prisonnier », « l’homme que vous savez », « l’homme de la tour »… Ainsi utilisaient-ils des expressions de sorte que nulle personne lisant leurs courriers ne puisse comprendre l’identité du détenu. La raison de son incarcération demeurait également un mystère. Louvois veilla à ce qu’il en soit ainsi, parlant des actions du prisonnier en prenant soin de ne pas trop en dévoiler.

François Michel Le Tellier, marquis de Louvois, Château de Versailles

Jacob Ferdinand Voet, Portrait du marquis de Louvois, XVIIe siècle, Château de Versailles

 

Autre fait marquant, insistant sur l’importance de dissimuler son identité: Voltaire raconte qu’un jour le prisonnier, « sans doute au cours d’une crise de désespoir- car, malgré tous ces bons traitements, comment n’en aurait-il pas eu?-, écrivit quelques mots à la pointe d’un couteau sur un plat d’argent qu’il jeta à travers les barreaux de sa fenêtre. Un pêcheur de la région, dont la barque était amarrée non loin du fort, vit l’objet tomber sur les rochers. D’un coup de rames il s’en approcha et s’étant rendu compte de sa grande valeur le rapporta au gouverneur, dans l’espoir d’une récompense. Celui-ci, étonné, demanda au pêcheur : Avez-vous lu ce qui est écrit sur cette assiette, et quelqu’un l’a-t-il vue entre vos mains ? Je ne sais pas lire répondit le pêcheur : je viens de la trouver, personne ne l’a vue. Allez, lui dit-il, vous êtes bien heureux de ne pas savoir lire » (pages 16 et 17). D’autres témoignages encore affirment que d’aucuns furent tués pour être entrés en contact, parfois malgré eux, avec le mystérieux homme au masque de fer.  Puisque, rappelons-le, « Nul ne devait l’approcher hormis son geôlier, l’écouter ou prononcer son nom » (page 16).

 

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L’homme au masque de fer dans sa cellule, 17989, © BNF

Pourtant, la tombe se trouvant dans le cimetière de Saint-Paul et dans laquelle fut déposé le corps du prisonnier à sa mort comporte le nom de « Marchioly ».  Pourquoi avoir écrit un nom, d’assonance italienne qui plus est, sur la tombe d’un homme dont l’identité était un secret ? Est-ce bien son nom ou un nom proche du sien ? Si tel est le cas, il devient aisé de le rapprocher de Matthioli, ce diplomate italien qui fut ministre du duc de Charles II de Mantoue et qui, négociant la cession de la place de Casale Monferrato, trahit la confiance de Louis XIV. Oui, Matthioli peut en effet être notre homme. Petitfils lui dédit d’ailleurs tout un chapitre. Seulement, les choses ne sont pas si simples : nous ne pouvons aller jusqu’au bout de notre enquête sans avoir fait le tour de tous les individus susceptibles d’être le prisonnier au masque de fer. Parmi ces hommes peut être cité Eustache Danger; cet homme de condition modeste arrêté sur les côtes de la Mer du Nord et qui entre en 1765 au service de Fouquet en tant que son valet, alors que tous deux étaient en prison. Et oui, Matthioli n’est pas le seul à avoir attiré l’attention de l’auteur de cet ouvrage puisque Danger dispose pareillement du privilège d’avoir un chapitre entier dédié à son incarcération.

Mais l’historien et spécialiste de ce mythe ne s’arrête pas là : Petitfils évoque en effet toutes les hypothèses formulées jusqu’à aujourd’hui sur l’identité du prisonnier. Des nombreuses spéculations ressortent de plus intriguant le rapprochement entre le masque de fer avec le jeune comte de Vermandois (fils de Louis XIV et de sa maîtresse, Louise de la Vallière), disparu trois ans et demi avant l’apparition du masque de fer, ou encore avec un prétendu fils d’Anne d’Autriche qu’elle aurait conçu dans les bras d’un amant d’un soir, le jeune C.D.R. On affirma également qu’il s’agissait d’un milord anglais qui avait, selon les dires de Madame Palatine, participé à l’affaire du duc de Berwick contre le roi Guillaume. Nous connaissons tous également la fameuse hypothèse selon laquelle le masque de fer ne serait nul autre que le surintendant des finances, Nicolas Fouquet, ou encore le frère jumeau de Louis XIV, un homme bien plus noble et plus indulgent envers son peuple que ne le sera jamais le roi-Soleil. Un grand merci à Alexandre Dumas pour avoir assuré le succès éternel de cette affaire en popularisant cette dernière hypothèse dans son roman Le Vicomte de Bragelonne.

Couverture et images issues du film L’homme au masque de fer (The man in the iron mask), réalisé par Randall Wallace en 1998 et s’inspirant du roman d’Alexandre Dumas

 

En vérité, plusieurs personnes peuvent être suspectes et, malgré la complexité de cette affaire, Petitfils penche pour une hypothèse en particulier. Comment en vient-il alors à bout de cette obscure histoire ? La phrase suivante résume la démarche empruntée par l’auteur pour parvenir à découvrir l’identité du masque de fer : « Il n’est pas indispensable, estime-t-il, de suivre la trace des prisonniers arrivés à Pignerol entre 1665 et 1681, il suffit de connaître ceux qui s’y trouvaient en 1681.« 

Pour en savoir plus, je vous laisse découvrir par vous-mêmes ce livre qui apporte une réponse à l’une des affaires les plus incroyables de l’Histoire. Nous pouvons par ailleurs reconnaître à Jean-Christian Petitfils la capacité à relater des événements importants et complexes tout en rendant la lecture fluide et agréable. Je vous recommande donc fortement cet ouvrage qui ne manque pas de nous tenir en haleine et ce, du début jusqu’à la fin!

 

F.A

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